Guy Blackburn

Cécité, lunettes et tissu blanc

novembre 1995

CHICOUTIMI (DP) - Si certains visiteurs, comme en témoigne le livre de commentaires placé à l'entrée de l'exposition, se montrent réfractaires au travail de Guy Blackburn, ce n'est pourtant pas faute de sens et de qualités esthétiques pour les deux oeuvres qu'il expose à Espace Virtuel jusqu'au 5 décembre.
La première oeuvre, intitulée «La cécité», est constituée de grandes pièces de tissu blancs tendues sur les murs dans lesquelles sont pratiquées des ouvertures circulaires: passant à travers certaines d'entre elles, une «branche» de lunette est piquée dans le mur. La deuxième oeuvre, au sol, est constituée de dix tubes recouverts de tissu blanc, garnis de formes diverses et trouées en certains endroits. Cela fait penser à des armes, fusils ou canons, impression renforcée par des cercles métalliques placés aux extrémités, comme des mires, et par les pompons blancs qui y sont rattachés tels des projectiles inoffensifs. L'inscription: «On ne donne  pas ses armes», pointe assez nettement l'activité qui consiste à récupérer des armes et des jouets guerriers afin de promouvoir la paix. Tout ceci n'est qu'une façon de se donner bonne conscience face à la guerre, semblent dire ces fusils aussi désamorcés que les jouets qui tirent des bouchons de liège.
Déjà, la seule observation de tous ces éléments peut susciter une réflexion intéressante chez le visiteur qui se donne la peine de se poser quelques questions.
Les explications de l'artiste permettent toutefois de mieux comprendre sa démarche. Une première idée lui a été inspirée par les cagoules que portent les membres du Ku Klux Klan: il a créé trois formes triangulaires posées par terre et percées chacune de deux trous. Voulant travailler le blanc, il a utilisé le même matériau de base pour les deux oeuvres: la fibre synthétique qui sert à fabriquer les filtres antipollution des cheminées d'Alcan, acquise par l'intermédiaire d'une entreprise de récupération. Les perforations ont été réalisées à la torche: «cela donne des trous ronds aux bords bien nets, comme ceux d'une cicatrice», explique l'artiste, qui a d'abord travaillé en atelier, se bandant les yeux pour éliminer la régularité avec laquelle il avait tendance à percer les orifices. Les branches de lunettes servaient à compléter un dessin qu'il voulait abstrait.
Elles viennent d'une cargaison de 35 000 paires de lunettes en provenance du Pérou, où elles avaient été envoyées par des pays nantis à titre d'aide humanitaire. Mais le gouvernement du pays les refusées, les jugeant de trop mauvaise qualité...
Mais Guy Blackburn n'a pas tout dit au sujet du paradoxe cécité/vision: il a déjà entrepris un projet avec Estampe Sagamie pour produire une estampe blanche comportant un point minuscule. Dans ce point, une inscription, lisible seulement au moyen d'une loupe: «La cécité regarde le monde». Il est toujours à la recherche d'un moyen technique permettant l'impression d'un tel texte.
Exploration des paradoxes, travail long et minutieux, éléments de critique sociale, et préoccupation esthétique caractérisent donc le travail de Guy Blackburn.