L'art pour dénoncer la barbarie
décembre 2002
par Denise Pelletier
(DP) - L'installation que présente Nathalie Maranda au Centre national d'exposition jusqu'au 26 janvier, intitulée «L'arrache-coeur», apparaît à prime abord comme un ensemble comprenant deux immenses mosaïques accrochées aux murs, de chaque côté d'un couloir dans lequel le visiteur doit entrer pour voir ce qui s'y trouve.
A première vue, l'objet ou le sujet traité par l'artiste dans ces quelque 300 petits tableaux de bois, de cuir, de papier aux teintes sombres, entourés de cadres métalliques et répartis en deux groupes, n'apparaît pas clairement. On distingue des fragments colorés, des taches, des froissements, des pigments, des creux et des soulèvements. Mais la constance de la forme apparaissant au centre de chaque tableau finit par s'imposer: ce sont indéniablement des représentations ou évocations du sexe féminin.
Et c'est bien là le propos de l'artiste, qui veut, comme l'indiquent les textes accompagnant l'exposition, témoigner des mutilations sexuelles dont ont été victimes jusqu'à maintenant 120 millions de femmes à travers le monde. Rituels destinés à préserver la virginité des filles, l'excision et l'infibulation touchent chaque année plus de deux millions de femmes. Chaque jour, dit-on, 6000 fillettes et jeunes filles subissent ces coutumes barbares.
Symbolique
Cependant, l'évocation de ces pratiques dans l'oeuvre de Nathalie Maranda n'a rien de choquant: tout est traité de façon symbolique, totalement transfiguré par une
pratique artistique qui fait aussi référence à la richesse symbolique et au pouvoir de fécondation du corps féminin. Ce qui aura peut-être pour effet de rendre le visiteur plus réceptif au message que ne l'auraient fait des images violentes et réalistes, par exemple.
Les deux mosaïques, placées sur deux murs se faisant face, sont faites de petits tableaux carrés réalisés à l'aide de bois et de papier, de coups de crayons ou de pinceau aux teintes sombres ayant souvent des reflets métalliques qui pourraient évoquer la peau, ses différents états et ses couleurs possibles. Au milieu de chaque image est piquée une épingle.
Au centre de la salle, un long couloir aux murs recouverts de rouge et d'or a été construit de toutes pièces: on y entre comme dans un sombre monastère, traversant la pénombre pour arriver devant une installation éclairée obliquement. Des papillons colorés, 1500 dit-on, sont épinglés sur le mur du fond ou sur le sol, évoquant «ces femmes charcutées au fil du temps». Un petit ventilateur fait discrètement palpiter les ailes de certains d'entre eux, comme s'ils étaient encore vivants. La construction est fort belle esthétiquement, d'ailleurs.
Véritable mémorial, «L'arrache-coeur» de Nathalie Maranda est une oeuvre à voir, qui plaît à l'oeil et qui fait réfléchir sur les turpitudes de l'humanité. L'artiste de Montréal explore depuis dix ans les multiples facettes de l'être humain dans un rapport de complémentarité. Orientée vers l'abstraction, sa démarche artistique affiche par ailleurs une préoccupation constante pour le corps.