Gilles Jobin

La simplicité volontaire
décembre 2001

par Denise Pelletier

CHICOUTIMI(DP) - Lignes épurées, visages aux traits esquissés, travail sur les nuances d'un petit nombre de couleurs, le tout à la gouache seulement: ainsi sont faites les oeuvres de Gilles Jobin exposées à la Corniche jusqu'au 16 décembre. Grâce à cette technique, il s’en dégage simplicité, profondeur et sérénité.
Présent depuis près de 30 ans dans le paysage saguenéen des arts visuels, où il fait des apparitions - entendons des expositions - à intervalles plus ou moins réguliers, l'artiste, natif d'Arvida et qui réside maintenant à Chicoutimi, éprouve quelque difficulté à parler de ses oeuvres. Comme en 1995, alors que nous l'avions rencontré lors d'une exposition au même endroit, Gilles Jobin préfère laisser parler ses toiles, évitant de tenir sur celles-ci un discours savant et structuré. Ce qui ne veut pas dire qu'il n'a rien à en dire, bien au contraire. Il faut juste savoir comment lui parler, comment l'écouter, savoir laisser planer les silences qui lui permettent de suivre le fil de sa pensée.
On découvre alors un homme discret, secret, un artiste pour qui la création est essentielle, vitale, mais aussi quelqu'un qui voit le monde avec un réalisme teinté de pessimisme à l'occasion. (D'ailleurs, comment pourrait-on être réaliste sans être pessimiste?) Les oeuvres exposées à la Corniche ont été réalisées assez rapidement, en trois mois l'été dernier. Une sorte de pulsion le poussait à produire beaucoup, et dans ces occasions, Gilles Jobin ne s'interroge pas trop sur le pourquoi et le comment: il obéit à la poussée créatrice.

Sauf une nature morte, il y a un ou deux personnages sur chacune des toiles exposées: le visage est très présent, délimité par des traits foncés, les vêtements sont dans certains cas nettement dessinés, à d'autres moments laissés dans une sorte de flou, tandis que l'arrière-plan devient un lieu où l'artiste laisse libre cours à son goût d'explorer, de mélanger, d'associer les couleurs. Il le fait de façon magistrale, d'ailleurs, ayant développé, au fil des années, une connaissance intime et une grande maîtrise technique de ce médium qu'est la gouache.
«La gouache, c'est vraiment mon point fort», dit-il, conscient malgré tout des progrès qu'il a effectués dans sa capacité à contrôler les effets, les mélanges, les subtilités de cette matière. Selon lui, toutefois, cette technique n’est pas plus difficile ni plus facile que l'huile ou l'acrylique. Pour les avoir tous explorés, il sait maintenant que le médium le plus difficile à maîtriser est l'aquarelle. «La peinture à l'huile c'est bien difficile, mais c'est bien plus beau que la peinture à l'eau»: rien de plus faux que les paroles de cette chanson pour enfants, selon lui!
Il constate par ailleurs que si sa principale force était au départ le dessin, qu'il a d'ailleurs amélioré en étudiant les arts graphiques à l'École des Beaux-arts de Québec, il s'est par la suite intéressé de plus en plus à la couleur, jusqu'à penser aujourd'hui qu'il est davantage coloriste que dessinateur. «Je sais depuis longtemps qu’il ne faut pas mettre trop de couleurs sur une toile», dit-il, ajoutant que, parmi les toiles qu'il expose actuellement, sa préférée, celle qu'il considère la mieux réussie à tous points de vue, est la gouache intitulée «Saltimbanque».
Il évoque aussi de cette espèce d'«ambivalence visuelle» dans laquelle il travaille depuis des années, c'est-à-dire depuis qu'il doit porter des verres pour la vision rapprochée. S'il les porte pour peindre, il est incité à dessiner les traits de façon plus précise, plus détaillée. Mais parfois, il ne veut pas mettre ses lunettes, et alors son dessin est différent: les traits sont esquissés de façon plus sommaire, les yeux faits d'un simple point d'appui du pinceau, les lèvres d'une simple ligne foncée un peu épaisse.
Pourquoi des personnages? Gilles Jobin ne le sait pas trop. Il suit son instinct, son émotion première et il y a le plus souvent, au centre de tout cela, un ou plusieurs visages, des êtres enveloppés dans d'amples vêtements évoqués par des masses de couleur plus ou moins nettement définies, qui leur confèrent un caractère asexué, androgyne, et ... une bonne part de mystère.
Pendant sa dernière année aux Arts graphiques, il avait disposé dans une salle plusieurs dessins qu’il avait réalisés sur de petits cartons: un concierge qui passait par là s'était exclamé: «y'a du monde à messe!». Déjà donc son univers était peuplé d'humains, même si son style était assez différent de celui qu'il a développé depuis. Rien de systématique toutefois là-dedans: il aime aussi explorer le paysage, et la nature morte à l'occasion.
Gilles Jobin parle ensuite de la difficulté d'être peintre, artiste aujourd'hui. Cela n'a jamais été facile, mais de nos jours, les gens sont tellement sollicités par la télévision, la publicité, Internet, qu'il reste bien peu de temps pour les formes d'art traditionnelles, surtout la peinture, statique, peu spectaculaire, qui n'attire guère les médias en quête de sensationnel. Elle se pratique dans l'isolement et le calme, loin des bruits du monde.
Pour l'apprécier, il faut aussi se recueillir, regarder, comprendre: vraiment pas une tendance lourde dans la société actuelle.