Jean-Yves Vigneau

Cimetière marin à livre ouvert
octobre 2001

par Denise Pelletier

CHICOUTIMI(DP) - Des livres au sol, ouverts, posés sur la tranche. On les compte, il y en a 36. En suivant des yeux la trajectoire de la faible lumière qui scintille sur leurs pages on aperçoit, sur le mur blanc, une projection vidéo dont les grandes images mouvantes évoquent les marées, les vents, les bords de mer.
Ces livres seraient donc des épaves? On s'en approche pour les examiner de plus près. On se rend compte que chaque exemplaire est recouvert d'une jaquette supplémentaire faite de deux morceaux de contreplaqué. Que les livres en question sont des tomes de la grande encyclopédie marine de Jacques Cousteau. En manipulant délicatement les pages, on peut lire les titres de ces divers volumes tels «Fenêtre ouverte dans la mer», «Attaques et défenses», «Oasis dans l'espace», «L'art du mouvement». On constate qu'un certain nombre de ces livres livres sont posés à l'envers.
On s'aperçoit aussi que le bois est un élément important de l'exposition, car il s'agit bien d'une exposition, d'une installation plutôt, de l'artiste Jean-Yves Vigneau présentée à Espace Virtuel jusqu'au 3 novembre. Le titre de l'oeuvre, «La pêche miraculeuse», oriente déjà la pensée vers l'idée de la mer, des poissons, des marées, et, de façon plus lointaine mais bien présente dans le travail de l'artiste, des naufrages, des épaves, de la mort.

La mort évoquée par ces livres en quelque sorte pétrifiés dans leur jaquette en bois, laquelle les rattache au sol comme des épaves sur une grève. De bois également est faite la corne de brume construite par l'artiste sur le modèle d'une corne de brume en métal également présente dans l'exposition. De bois aussi cette espèce de grande tour illuminée de l'intérieur mais fermée de toutes parts, qui évoque un phare ou encore un clocher.
Phare et clocher à la fois, nous dit l'artiste dans son texte de présentation, expliquant que cette tour lui a été inspirée par le clocher de l'église de son enfance, «arraché comme une vieille souche pour faire place à une architecture plus moderne», et dont il a fait «une bouée pour marquer les hauts-fonds de l'histoire».
On trouve aussi, autre ajout au réseau des significations marines, une forme faite de lattes de bois légèrement courbes qui évoque le flanc d'une barque. On se rappelle avoir vu, dans la petite salle qui fait office de vestibule et d'entrée en matière à cette véritable histoire de pêche, une barque construite avec des morceaux de feuilles de métal. Et des dessins représentant des poissons accrochés au mur.
Il y a aussi un poisson de métal, tel un grand leurre suspendu par la queue à un fil qui descend du plafond, et dont le «nez» se termine par un hameçon à deux crochets. Et une photo d'une autre installation de l'artiste, réalisée in situ aux Iles-de-la-Madeleine et intitulée «Le naufrage de l'Angélus»: sur la grève, Jean-Yves Vigneau avait érigé un «cimetière aux poissons», fait de bardeaux de cèdre découpés en queues de poisson, alignés comme des fleurs et plantés dans le sable comme autant de pierres tombales.
Les livres aux jaquettes de bois font donc écho aux poissons de ce premier cimetière, marquant la continuité du travail de l'artiste qui ajoute, modifie ou retranche des éléments dans chaque galerie (La Chambre blanche à Québec et Articule à Montréal entre autres) où il amarre son exposition.
«La pêche miraculeuse» est donc une très intéressante sculpture installative qui évoque à la fois une tradition - la pêche artisanale - en voie de disparition, la vie - menacée - des profondeurs océanes, et la fascination que le monde marin exerce «sur l'esprit gémissant en proie aux longs ennuis» (Baudelaire).