Marcel Marois

Des images de laine

octobre 1996

par Denise Pelletier

JONQUIERE (DP) - Le nom de Marcel Marois, pour tous ceux qui s’intéressent un tant soit peu à l’art, est indissociable de la tapisserie contemporaine internationale. Mais il est aussi étroitement associé à la région du Saguenay-Lac-Saint-Jean, même s’il n’en est ni originaire, ni résidant.
C’est qu’il a enseigné à l’UQAC pendant 24 ans, tout comme son frère jumeau, Lauréat Marois, peintre et graveur. Mais les chargés de cours ont vu progressivement diminuer leurs engagements, de sorte qu’il n’enseigne pas actuellement, et il le regrette beaucoup, même s’il trouve de quoi s’occuper largement avec la carrière internationale qu’il mène depuis nombre d’années, participant à des expositions collectives, des biennales, triennales et autres manifestations autant en Amérique qu’en Europe ou en Asie.
Marcel Marois est cependant demeuré attaché à la région, et il a lui-même travaillé à la conception et à la mise en place de l’exposition qu’il présente au CNE jusqu’au 17 novembre et intitulée «Un regard témoin». «Depuis quelques années, explique-t-il au cours d’une interview, je fais plus d’expositions solo, et celle-ci s’inscrit dans une série d’expositions au Québec, qui a commencé en 1994 par la galerie Expression de Saint-Hyacinthe».
Il ne s’agit pas d’une rétrospective mais plutôt d’un choix d’oeuvres, dont plusieurs appartiennent à des collections comme celle du Musée du Québec, qui représentent les étapes importantes de sa création depuis les années 80. Marcel Marois y voit un parcours, sinon une évolution, de la figuration vers l’abstraction. Il nous montre les plus anciennes, par exemple celle intitulée «Analogie-temps», où l’on distingue nettement des esquimaux en train d’écorcher un animal marin sur le glacier. Les couleurs sont pâles à l'avant-plan, car on n’aperçoit que le bas d’un pan rouge très vif cousu derrière le canevas principal. Il y a déjà là des éléments non figuratifs ou symboliques, comme les deux triangles qui peuvent évoquer un sablier. Dans une autre toile, «Phoques en phase d’altération», deux phoques sont représentés, l'un de façon assez réaliste, l’autre par des points, comme en décomposition. Quant au «ciel» il est fait d’une multitude de rectangles laissant apercevoir, en vue d’ensemble, la forme d’une pyramide.

Dans ses oeuvres plus récentes, comme «Leurs esprits s’enfonçaient, désordonnés», ou encore «Comme un souffle dans l’onde confuse», la figuration est moins évidente, constate l’artiste. On distingue les formes, celles de baleines ou bélugas, mais les lignes, circulaires et rompues comme les grands courants marins, ne sont plus circonscrites dans des formes géométriques. Et ses oeuvres les plus récentes, une série de six tapisseries de petite dimension réalisées pendant les quatre mois où il a été artiste en résidence à l’Université de Londres, et intitulées «Mutations-temps», sont vraiment très abstraites, bien que les couleurs les rapprochent des éléments tels que l’eau, la terre et le feu.
Ce qui est remarquable, c’est qu’en regardant ces oeuvres, on peut ne pas se rendre compte tout de suite qu’il s’agit de tapisserie. Bien que respectant, dans la confection, la tradition de la haute lice qui remonte au Moyen Age, soit le passage d’une navette qui place le fil de chaîne sur une trame disposée verticalement, Marcel Marois fait partie de ce groupe d’artistes qui, à travers le monde, introduisent dans la tapisserie des techniques ou des sujets contemporains.
«Je me sers beaucoup de la photographie, et notamment de la photographie de presse», dit-il. «Les tapisseries d’autrefois racontaient des histoires de ce temps, comme celle de la dame à la licorne, et pour ma part je parle de sujets contemporains à la manière dont le font les médias. Mon propos est socio-politique, je parle d’écologie, d’environnement»: sujets précis qui s’ouvrent, plus largement, sur la destruction de toutes choses, non seulement par l’action humaine, mais par la nature elle-même, noyade collective de caribous, cataclysmes, et finalement le simple passage du temps.
En premier lieu Marcel Marois effectue, en marge de sa réflexion sur l’oeuvre, un travail minutieux sur le «carton». C'est là qu'intervient la technologie, car l'artiste utilise des photos, des pages imprimées puisées dans des magazines et des journaux, qu'il traite par photocopie, collage, montage: il les déstructure, les mélange, intervient aussi par le dessin ou l'aquarelle.
Ensuite, il faut «écrire» tout cela en pure laine, au cours d’un long travail dans son atelier de Québec, où il possède deux grands métiers, l'un de huit, l'autre de onze pieds. Bien qu'elle exige beaucoup de temps, cette partie du travail est tout sauf monotone, pour Marcel Marois. «Quand on travaille sur le métier, il faut prendre une décision à chaque minute, par exemple, une couleur peut demander la combinaison de 14  brins de laine de teintes différentes, bref, ces périodes sont stimulantes, jamais ennuyantes», dit Marcel Marois.
Il a choisi ce médium dès ses études à l’école des Beaux-Arts de Québec: inscrit en peinture, il a trouvé les professeurs décevants. «Je n’apprenais rien. En revanche j’étais attiré par les travaux de Jeanne d’Arc Corriveau, qui enseignait la tapisserie, et ceux de ses élèves, alors j’ai décidé d’apprendre cette technique», dit-il.
La tapisserie correspond chez lui à un besoin physique: «je suis très actif de nature, et l’attention, la concentration exigées par le travail en atelier m’apportent le calme dont j’ai besoin».
Par ailleurs, ce métier, c’est le cas de le dire, lui a permis de voyager à travers le monde, pour exposer, donner des conférences, participer à des colloques. Dès 30 ans, il a été sélectionné pour la Biennale de Lausanne, et depuis ce temps son nom est associé à tous les événements internationaux touchant la tapisserie. Récipiendaire de nombreux prix, invité à participer à des manifestations en art contemporain, de New York à Melbourne, de Montréal à Paris, cité dans les articles et les ouvrages qui traitent de la tapisserie contemporaine, Marcel Marois affirme que cette alternance de visibilité sociale et de travail solitaire lui convient parfaitement.