Arnold Zageris

"Terres du Nord": survie et beauté pure
septembre 1996

par Denise Pelletier

JONQUIERE(DP) - Quand l'été se prolonge comme il l'a fait cette semaine, «Terres du Nord» n'est peut-être pas le titre le plus susceptible d'attirer les gens à une exposition. Et pourtant, le travail du photographe Arnold Zageris est fascinant et personne ne regrettera sa visite au CNE, qui présente l'exposition jusqu'au 20 octobre.
Les 35 photographies couleurs (cibachrome) que propose l'artiste sont tout d'abord d'une qualité technique remarquable, offrant des couleurs nettes et profondes et des contrastes saisissants. Mais il y a plus: bien des photographes échouent quand ils découpent un plan rapproché à partir d'un vaste paysage, car leur intention n'est pas évidente. Le spectateur ne sait plus s'il doit essayer de reconstruire l'ensemble du paysage à partir de ce qu'il voit, ou s'efforcer plutôt d'identifier quels sont les points d'intérêt de la photo.
Or, en ce qui concerne les photos d'Arnold Zageris, il n'y a qu'à les regarder pour éprouver, d'emblée, un  plaisir esthétique dû à l'équilibre et d'ensemble et à la variété des formes et des couleurs. Pans de rochers abrupts, douces rondeurs des pierres millénaires, éclat vif d'un feuillage ou d'une fleur se détachant sur un sol aride: tout dans un premier temps vient plaire à l'oeil, même le moins averti.
Ces photographies, prises en Abitibi, dans le Labrador et dans l'Arctique, sont tirées d'un ensemble de 150 images réalisées par l'artiste sur une période de cinq ans. Oscillant entre l'abstraction et le réalisme, elles prennent l'allure de véritable tableaux.

Ainsi, dans l'une d'elles, un mince feuillage vert, se détache sur un fond de roches rondes et roses dans un contraste fascinant de lignes et de couleurs. Les plus impressionnantes de ces photos sont précisément celles qui mettent en évidence les relations, de contraste le plus souvent, mais aussi parfois de similitude, entre le végétal et le minéral. On voit par exemple se détacher nettement, sur une paroi rocheuse sombre, une multitude de champignons orange et gris ou une végétation qui ressemble à un corail rouge vif. Plus loin, de petites fleurs fuchsia allument littéralement les roches brisées sur lesquelles elles ont réussi à pousser.
Sur certaines photos, le minéral est absent, presque complètement couvert par une végétation, un foin roux qui évoque une chevelure folle ou des fleurs blanches et leur feuillage vert.
Mais tous les végétaux sont à ras de terre, le plupart du temps d'ailleurs photographiés en plongée. Ces photos racontent donc l'histoire d'une lutte acharnée pour la vie: acharnée parce que l'eau est la grande absente de ces paysages, dont certains ressemblent à des fonds de rivières asséchées. Les plantes doivent puiser très profond, sous la roche, le minimum d'humidité nécessaire à leur survie. Elles ne peuvent pas se développer en hauteur, à cause de la rareté des éléments nutritifs et de l'ombre que leur font les grands rochers. Une lutte qui donne, comme résultat, ces éclats de beauté dont quelques-uns seulement parviennent à l'oeil humain, grâce au travail patient et inspiré d'Arnold Zageris.
Celui-ci ne nous propose pas des paysages: il transforme plutôt le paysage en créateur en choisissant soigneusement le cadre et le contenu de ses clichés. C'est alors la nature qui semble avoir créé des oeuvres d'art: lignes, formes, couleurs en équilibre parfait et baignées d'une lumière intense.
Né en Allemagne en 1948, Arnold Zageris est arrivé au Québec en 1953. Il enseigne la biologie à Rouyn-Noranda, tout en pratiquant son art, la photographie. Il a présenté une quinzaine d'expositions, obtenu des bourses et des prix. Ses oeuvres ont été acquises par plusieurs grands musées et collectionneurs privés. En 1986, le gouvernement du Québec lui offrait sa reconnaissance pour sa contribution à l'art et à la culture québécoise.
«Terres du Nord», à ce jour la plus importante exposition itinérante des oeuvres d'Arnold Zageris, a été préparée et mise en circulation par le Centre d'art Rotary de La Sarre en Abitibi, et Jonquière est la huitième et dernière ville de sa tournée québécoise.