Faire parler les objets
juin 1995
par Denise Pelletier
CHICOUTIMI (DP) - Si vous entrez à Espace Virtuel, vous vous demanderez sans doute tout d’abord si vous êtes bien dans une galerie d’art: les objets que vous aurez sous les yeux vous sembleront trop familiers pour être des oeuvres d'art. Familiers parce que ce sont de petits appareils électriques d'usage courant: un grille-pain, un fer à friser, un aspirateur, une «polisseuse», un ouvre-boîtes entre autres. Tous usagés, d’ailleurs.
Pourtant, il s’agit bien de l'exposition d'une artiste, celle que présente Paméla Landry jusqu'au 30 juin, sous le titre «Étal». D’ailleurs si vous regardez bien la première installation, vous verrez que ces petits appareils électroménagers sont disposés d'une façon particulière. En cercle, deux par deux, formant des couples dont la couleur ou la forme se ressemblent. Et puis ils sont reliés par des fils, qui courent par terre. Au centre, un tapis tressé... non, pas vraiment: quand on s’en approche on se rend compte que ce tapis rond est formé de fils électriques plastifiés de plastique de diverses couleurs. Attachée à chaque objet, une tige de métal au bout de laquelle se trouve un bouton rouge. Quand on appuie sur un bouton, on entend une voix, qui sort du haut-parleur placé au centre du cercle. On dirait qu'il y a deux voix mais c’est la même dont le timbre a été modifié, nous dit l’artiste, des voix donc qui récitent sur un ton monocorde des proverbes et des maximes, comme «Qui se ressemble s’assemble», «L’union fait la force», «Savoir c’est pouvoir».
Et c’est quoi, tout ça? Une installation intitulée «Qui trop embrasse mal étreint». Paméla Landry aime manipuler les objets, les déconstruire, les disséquer littéralement pour découvrir ce qu’il y a à l’intérieur. Ensuite elle les remonte en leur intégrant des parties nouvelles, des circuits électriques par exemple, qui leur assigneront d’autres tâches que celles pour lesquelles ils ont été conçus. Ainsi, ces électroménagers produisent, dans le cadre de cette exposition, un son organisé, fabriqué par l'artiste et totalement différent du ronronnement qu'ils émettent lorsqu'ils sont utilisés de façon orthodoxe.
Paméla Landry les a choisis parce qu’ils évoquent le monde domestique, la maison, la cuisine. L’univers de la femme en somme, stéréotypé comme ces proverbes qui semblent dicter des comportements mais qui, quand on les écoute bien, se contredisent les uns les autres. «Ces proverbes et cet univers d’objets témoignent d’une sorte de volonté humaine d’ériger des systèmes et d’y enfermer des pans entiers de la société», dit Paméla Landry qui bien entendu se fait un plaisir de mettre à nu les contradictions de ce genre d’entreprise.
L’exposition comprend une autre installation, que Paméla Landry présente pour la première fois au public (la première existe depuis quatre ans et a déjà été vue à quelques reprises). Encore là, c'est tout un système de fils qui relie des objets, répartis en trois îlots. Tout d’abord une étagère remplie d’objets que l’on trouve dans une cuisine: plats, bols, serviettes, ustensiles, bibelots de porcelaine. Chacun d’eux comporte une plaque de cuivre d’où partent des fils électriques. Une autre étagère est garnie de livres et de magazines un peu spéciaux: entièrement recouverts de peinture plastique grise granuleuse, ils sont tous de la même couleur et collés par paquets. Quand le visiteur passe derrière la bibliothèque, il actionne un détecteur de mouvement qui met le courant électrique en route: il aboutit à la troisième structure, une tour métallique comprenant plusieurs mini-ventilateurs qui se mettent à tourner.
Tout cela est très complexe, au fond. Paméla Landry a suivi des cours en électronique, histoire de comprendre le fonctionnement des circuits et de ne pas risquer de provoquer des catastrophes avec des branchements dangereux. Toujours dans l’idée de démonter les choses, ou de les intégrer dans une structure qui les détourne de leur sens premier: celui-ci est néanmoins présent dans l’image mentale que l’on a de l’objet, ce qui donne son poids à l’exposition. «Je m’intéresse à la technologie dans son aspect concret: par exemple, je suis portée à examiner les circuits intégrés d'un ordinateur plutôt que de m’intéresser au images qu’il produit. Pour elle, la technologie n’est pas neutre, elle ramène toujours à une notion de pouvoir, de désir de domination.
Native de Québec, Paméla Landry a obtenu son baccalauréat en arts plastiques à l’Université du Québec à Chicoutimi (elle présentait une oeuvre dans l’exposition «D'autres passages» au CNE, qui réunissait des étudiants et professeurs anciens et actuels de l’UQAC), puis elle est allée faire sa maîtrise à Montréal, où elle vit maintenant depuis quatre ans. Elle est membre du regroupement d’artistes La Centrale.