Le défilement vertigineux des images
mai 1995
par Denise Pelletier
CHICOUTIMI (DP) - Originaire de La Baie, Richard Martel vient pour la première fois exposer dans sa région natale depuis qu’il s’est installé à Québec. Il présente à Espace Virtuel, jusqu’au 4 juin, une installation vidéo intitulée «Vers une stabilité hypnotique».
Ici, la vidéo ne sert pas à appuyer un autre type de création, toiles, textes ou sculptures: c’est elle qui constitue l’oeuvre, et toute l’oeuvre. Dans la salle fermée et plongée dans la pénombre, le visiteur trouve quinze moniteurs qui diffusent tous le même film. Les écrans sont orientés de diverses façons: debout ou inclinés vers l’arrière, ou encore par couples, tournés l’un vers l’avant et l’autre vers l’arrière, disposés l’un sur l’autre, celui du dessus ayant «la tête en bas», ou encore tête-bêche.
En entrevue téléphonique, Richard Martel, qui est fondateur de la galerie parallèle Le Lieu et de la revue Inter à Québec, explique comment il a procédé. Il y a dix ans, il s’était rendu avec un groupe d’artistes dans une région du désert mexicain appelée Zona del Silencio, pour y réaliser une installation, qui s’y trouve toujours d’ailleurs. Récemment, il est retourné dans cette même région du Mexique, et c’est là qu’il a capté les images vidéo de l’exposition. «La première fois, j’y avais laissé une oeuvre, et cette fois, je voulais rapporter une oeuvre», dit-il.
Tenant une caméra à environ trois pieds du sol, il a couru pendant 24 minutes, jusqu’à épuisement, captant les images et le son. Les images, c’est donc un sol rocheux, qui défile à un rythme assez rapide (on aperçoit parfois le bout des chaussures) et le son, c’est celui des roches qui craquent sous les bottes, accompagné par la respiration essoufflée de Richard Martel. Comme il tenait la caméra face au sol, il n’y a pas d’horizon. En regardant ces images, on ressent donc une impression d’étouffement, une certaine angoisse, et à certains moments un véritable étourdissement. D’autant plus que la caméra effectue parfois une rotation soudaine et que dans certains cas le film défile en sens contraire sur deux écrans voisins. La couleur a été supprimée sur certaines bandes saturée sur d’autres, ce qui augmente encore l’effet de vertige que provoque leur défilement simultané. On peut donc regarder un seul écran, ou deux à la fois, mais il faut aussi prendre du recul pour en observer plusieurs: l’effet est saisissant.
Outre de produire un tel effet sur le visiteur, l’artiste voulait aussi, par ces images répétitives qui défilent de façon obsédante, exprimer sa vision de la course effrénée des médias d’information qui, dit-il, «répètent indéfiniment les mêmes choses, présentent obstinément les mêmes images en nous faisant croire que ce sont des nouvelles».
C’est la première fois que Richard Martel présente cette installation vidéo, mais il espère pouvoir la présenter ailleurs, notamment à Cracovie, en Pologne, où il a été invité à participer à un festival l’automne prochain. En fait, depuis cinq ans, il s’est beaucoup promené dans le monde, dans 25 pays, dit-il, dont la Pologne, la France, l’Allemagne, la Corée, la Lituanie, présentant des installations, dont plusieurs mais pas toutes, intègrent le médium de la vidéo.