Gordon Laird et Andrew Olcott

Deux créateurs inquiets de l’avenir du monde
avril 1995

par Denise Pelletier

CHICOUTIMI (DP) - La galerie Séquence à Chicoutimi présente jusqu’au 30 avril le travail de deux photographes relativement jeunes, Gordon Laird, de Guelph en Ontario et Andrew Olcott, Américain d’origine qui travaille maintenant à Montréal. Ils ont coiffé leurs deux propositions d’un titre unique, à la fois évocateur et provocateur: «Le défaut des ruines est d’avoir des habitants».
Comme c’est presque toujours le cas à Séquence, le visiteur risque d’être à prime abord dérouté par le petit nombre d’oeuvres, quatre ou cinq, présenté par chacun des artistes, et par l’absence totale d’explication dans laquelle il se trouvera, surtout s’il omet de lire le texte de Sylvain Campeau, commissaire de l’exposition, texte que l’on trouve dans l’«opuscule» publié par la galerie Dazibao, où cette exposition a été présentée du 14 janvier au 12 février.
Cependant, même sans lire ce texte, un examen ouvert et attentif des oeuvres devrait permettre à tout visiteur de comprendre, du moins en partie, la démarche des artistes.
Andrew Olcott présente notamment deux  oeuvres en trois dimensions: rectangulaires et accrochées au mur, elles sont formées par plusieurs boîtes ou cases en bois. Le fond de chacune d’elles est tapissé d’une photo agrandie (ou dessin ou photocopie, en noir et blanc) représentant un animal, panda, zèbre, grand félin, une plante ou encore une scène de chasse. Dans certaines de ces cases on trouve une figurine (de bois ou de plâtre) représentant un être humain: homme ou femme, toujours debout, nu, bras le long du corps et paumes ouvertes.
L’artiste désigne ces oeuvres du nom de «printer’s box», évoquant donc ces boîtes où on rangeait autrefois les caractères d’imprimerie.
Prenant en compte ces différents éléments, on peut en conclure que l’artiste a créé de toutes pièces les vestiges d’une civilisation humaine et animale. Civilisation qui serait disparue si ces vestiges étaient authentiques. Mais comme ils ne le sont pas (ce sont en réalité des oeuvres créées et montrées au sein d’une société bien vivante), ils évoquent plutôt les menaces qui pèsent sur cette civilisation, la nôtre.
Gordon Laird utilise une technique différente pour poser exactement le même problème, qui pourrait se résumer en une affirmation: «notre société court à sa ruine», et en une question: «quelles ruines laisserons-nous vraiment?». Dans la deuxième salle, il présente des photos techniquement fort travaillées, où la couleur est présente mais réduite à quelques nuances d’un même ton, qui montrent des terres désertiques, un volcan et son magma , un maelström, des réacteurs nucléaires, une colonne de fumée, tous indices de destruction à grande échelle. Aucun être humain n’est représenté, mais en revanche, sur  chacune de ces photos il y a un artefact, un objet témoignant de l’activité humaine: rectangle de métal, livre à moitié détruit, portion de galerie par exemple.
L’exposition est donc fort intéressante et témoigne, pour qui se donne la peine de décoder un peu leurs oeuvres, de l’inquiétude, des préoccupations, du malaise en somme éprouvé par ces deux créateurs lorsqu’ils regardent le monde dans lequel ils vivent. Leur lecture n’est d’ailleurs pas totalement pessimiste: si les «ruines» ont des «habitants» c’est que le monde est toujours vivant. Et la voie royale de la création, qui rend possible la communication, leur demeure ouverte.