Roger Gaudreau

Végétal et minéral: un jardin en gestation
janvier 1996

par Denise Pelletier

JONQUIERE (DP) - L'exposition que présente Roger Gaudreau, jusqu'au 18 février au Centre national d'exposition à Jonquière, occupe presque toute une salle et pourtant, on ne voit là qu'une infime partie du vaste travail entrepris par cet artiste.
Ce travail, ainsi qu'il nous l'explique au cours d'un entretien téléphonique, c'est un «jardin sculptural» privé qu'il a commencé à édifier à Saint-Jean-des-Piles, en Mauricie, d'où il est originaire, sur un terrain de 19 arpents carrés acquis il y a plusieurs années. L'artiste voudrait réunir dans ce seul lieu le résultat de ses recherches et toutes les oeuvres qu'il aura réalisées comme créateur. Présentée dans le cadre de la maîtrise en arts de l'UQAC, l'exposition du CNE, intitulée «Extraits de jardin», est constituée précisément d'éléments issus de son vaste projet.
Roger Gaudreau explique qu'il a voulu à la fois expliquer en quoi consiste son travail, par des oeuvres, photos et textes, et se plier aux règles de l'exposition en aménageant l'installation de façon à ce qu'on puisse l'apprécier en elle-même.
On y voit par exemple une rosace, plus précisément le douzième d'une rosace en béton posée par terre. Sur le terrain, la rosace sera complète, et une série de jeunes chênes seront plantés dans chacun de ses douze cercles extérieurs (comme le suggèrent les petits récipients contenant de la terre et un gland de chêne intégrés à l'exposition): quand les arbres auront poussé, on pourra se tenir à l'intérieur de cette oeuvre végétale. Tout cela est encore cependant à l'état de projet: le béton est coulé, mais pas encore installé. L'exposition comprend également une oeuvre intitulée «La rivière du temps», constituée de 617 moraines (pierres arrondies par l'usure), disposées par terre en une ligne bien droite, coupées en deux, «une par jour depuis le début du projet».
Le centre de la rosace sera occupé par une «Vasque», laquelle se présente dans l'exposition comme une immense demi-géode: c'est une grosse pierre que l'artiste a coupée en deux, puis évidée. «Dans la salle, j'ai placé la vasque à côté de la rosace, mais en réalité, elle sera au centre, enfoncée dans le sol», explique l'artiste.
Textes et photos décrivent un autre projet de Roger Gaudreau, plus vaste encore, celui d'une «Cathédrale végétale»: différentes essences telles cèdre, chèvrefeuille, peuplier et tilleul seront plantées de façon à épouser la forme de la nef d'une cathédrale. Quand les arbres seront à leur hauteur maximale, leurs branches et leur feuillage formeront une véritable voûte au-dessus du visiteur qui s'y aventurera. Ce projet quant à lui est encore à l'état de plan.
C'est donc dire que Roger Gaudreau entreprend, avec ce jardin, le travail de toute une vie. Ainsi qu'il nous le confirme lui-même, le créateur veut se faire ermite, pèlerin, jardinier, soumis aux exigences du temps et de la matière. Inspiré des principes du Land Art, son travail en diffère sur un point important, à savoir que les oeuvres du Land Art s'édifient en général plutôt rapidement.
«Ma première idée, il y a plusieurs années, c'était de faire un jardin de sculptures, mais peu à peu je me suis orienté vers une oeuvre plus globale», dit l'artiste. Il admet cependant que son «jardin sculptural» ne constitue pas une source de revenus, du moins pas pour l'instant. Pour gagner sa vie, Roger Gaudreau occupe des charges de cours à l'UQTR, il réalise régulièrement des oeuvres dans le cadre de la politique du un pour cent et il est membre de l'atelier Filex, un regroupement de 14 sculpteurs à Trois-Rivières.
 La visite de l'exposition au CNE demande un certain effort d'imagination de la part du spectateur, qui voit là les éléments épars d'une oeuvre à l'état de projet. Afin de lui faciliter la tâche, le fond de la salle est occupé par une grande toile sur laquelle sont projetées des diapositives représentant une forêt, et le tout est complété par des textes et des photos. Tout ceci suscite la curiosité pour l'oeuvre elle-même, et donne le goût d'aller sur place, à Saint-Jean-des-Piles, dans quelques années, voir ce que donnera sur le terrain la réalisation concrète de tous ces projets.