Vers l'enfance de l'art grâce au crayon de cire
juin 2000
par Denise Pelletier
JONQUIÈRE(DP) - A première vue, on dirait des dessins d'enfants. Il y a des personnages, des animaux, des soleils, des papillons, en couleurs vives appliquées au crayon, les contours sont appuyés... Mais si on examine plus en détail les oeuvres qui font partie de cette exposition, intitulée «Bonheur candide» et présentée au Côté-Cour pendant l'été, plusieurs détails montrent qu'il s'agit là de l'oeuvre d'un adulte, en l'occurrence Nancy Bourdages.
Bien connue au Saguenay comme «pigiste culturelle», comédienne, animatrice, réalisatrice radio, entre autres, Nancy Bourdages présente ici une deuxième exposition solo. Et comme par hasard, ce recours aux techniques utilisées par les enfants coïncide avec une formation qu'elle suit actuellement en technique de garde. Elle ne veut pas cesser ses activités culturelles, mais, un peu lasse d'une vie de pigiste à l'affût de contrats, elle recherchait un métier plus stable, et elle a choisi un domaine relié à l'enfance, sans savoir si cela lui plairait vraiment.
Elle aime cela au-delà de ce qu'elle aurait cru. Non seulement elle se sent à l'aise avec les enfants, mais elle s'intéresse à leurs processus créatifs, et, quel que soit l'endroit où elle les rencontre, école ou garderie, elle se propose de trouver des moyens pour stimuler leur créativité. Elle ne veut pas par ailleurs abandonner ses activités dans le domaine culturel.
Pour cette exposition, qui représente huit mois de travail, elle a voulu retrouver la spontanéité créatrice de l'enfant, en utilisant les outils dont il se sert généralement, les crayons de cire, notamment. Mais avec son intelligence et sa curiosité d'adulte, elle a poussé assez loin l'expérimentation et l'exploration du médium, comme elle nous le raconte en entrevue. «Je suis devenue spécialiste du crayon de cire, j'ai essayé plusieurs marques, je me suis aperçue que les crayons à bas prix ne donnent pas de bons résultats. Les meilleurs sont fait à base de soya», dit-elle. Elle a dessiné directement, avec ces crayons, mais aussi, elle les a fait fondre, au fer à repasser, pour étaler de grandes surfaces de couleur. Parfois elle s'est servie de chandelles. Et aussi crayons de bois, crayons feutre, correcteur. Et de ciseaux et de colle: tous ses personnages ou les objets sont découpés et collés sur le fond.
Elle a commencé par dessiner ses bonshommes ... les yeux fermés, afin d'obtenir cette spontanéité qu'elle recherchait. Ensuite, les yeux ouverts cette fois, elle a retravaillé ses dessins, ajoutant des couleurs, retraçant les contours, mais en conservant un maximum de simplicité à ses dessins, à ses personnages un peu «croches», aux pieds légèrement trop grands, évitant les effets de perspective.
Si les objets dessinés, enfants, clowns, oiseaux, chats, font référence à l'univers enfantin, ils empruntent aussi à sa perception d'adulte qui connaît la puissance symbolique des couleurs et des signes. Les titres coiffent d'une vision mûre, critique même à l'occasion, ces images en apparence naïves. «Mon maître est cruel», dit par exemple le chat qui ne peut toucher à l'oiseau et au poisson. Dans le tableau intitulé « Un monde de fou», les personnages sont verdâtres, enfermés dans une bulle de folie. «L'isolement de Tristounet» et «La petite fille oubliée», évoquent la solitude.
D'autres titres n'ont aucune connotation sombre, tels «Maman a un petit bedon» ou «Mademoiselle Charlotte prône la liberté». Et «Bonheur candide», avec chat, fleurs, abeilles et un papillon jaune qui sort de la toile.
Souvenirs d'enfance, faits vécus dont elle a été témoin, histoires racontées par des amis, images entrevues dans les médias: les sources auxquelles elle a puisé sont variées. «Je voyais cela comme un journal dessiné, un exercice de créativité plutôt qu'une création en art visuel», dit-elle. En retrouvant le plaisir enfantin du dessin et en osant exposer ce travail, elle voudrait inciter d'autres personnes à faire de même.
Il se dégage de tout cela une impression de fraîcheur, de vivacité, tempérée par une certaine sagesse, et c'est ce qui rend si séduisante cette exposition qu'elle présente au Côté-Cour. On pourra voir les oeuvres lors des spectacles donnés dans le cadre de la Semaine Mondiale de la marionnette, et au mois d'août, alors que l'on présentera une version modifiés du «Cabaret Délire estival» de l'an dernier, intitulée «Der Cabaret», spectacle auquel participera d'ailleurs Nancy Bourdages.