La technique au service de l'interrogation
février 2000
par Denise Pelletier
LA BAIE(DP) - Même s'il s'est donné une nouvelle orientation axée sur les sciences de la nature, le Musée du Fjord continue à faire de la place aux artistes, plus spécifiquement à ceux qui résident sur le territoire baieriverain ou encore qui y sont nés.
Ainsi, on peut y voir actuellement et jusqu'au 4 mars une exposition de l'un d'eux, Bruno Tremblay. Intitulée «songes d'entropie», elle comprend quatre oeuvres constituées chacune d'un groupe de bandes verticales suspendues au plafond. Le noir qui y domine et l'éclairage tamisé de la salle rendent le tout hermétique à prime abord: on hésite à s'avancer pour regarder ces oeuvres qui semblent toutes noires.
C'est pourtant ce qu'il faut faire: entrer dans la salle, laisser à nos yeux le temps de s'adapter à la pénombre pour tendre vers les surfaces qui leur sont proposées. En tentant d'y distinguer quelque chose, on constate que tout ce noir n'est pas uniforme: certaines parties de la surface sont mates, d'autres brillantes, d'autres ont un aspect moirée ou sont envahies par des coulées de matière, il y a du noir en relief sur un fond noir.
Sur la plupart de ces bandes verticales, une zone plus claire laisse voir des formes un peu floues, mais identifiables: pour les trois premières oeuvres, qui comprennent chacune trois bandes verticales, il s'agit par exemple d'un visage aux yeux recouverts de pansements, d'une petite bande de nuages, ou encore d'une jambe et d'un bras démultipliés. La quatrième oeuvre comprend pour sa part 18 bandes étroites disposées en deux rangées décalées: au bas de chacune d'elles, on peut nettement voir des rangées de jambes et pieds disposés à l'envers, comme s'ils étaient plantés dans le sol: la jambe constituant la tige, et le pied la fleur d'une plante étrange et mutante.
C'est bien ainsi qu'il faut voir cela, nous apprend l'artiste au cours d'un entretien. «Le fil conducteur de mon travail, depuis le début, c'est de poser la question «qu'est-ce qu'on est?» Je m'interroge sur notre intégrité physique et spirituelle, sur les modifications qui peuvent y être apportées sans que l'on s'en rende compte», dit-il. Il rattache cela à un autre thème qu'il a abordé de façon plus explicite dans de précédentes expositions: le principe de déplacement du sacré, au gré des consensus collectifs qui se modifient.
Il utilise des techniques qu'il juge adaptées à son projet: à la base, des images vidéographiques du corps fragmenté qu'il réalise avec des modèles. Il numérise et travaille ces images par ordinateur, puis il les imprime. Il trempe ensuite ces imprimés dans l'encaustique, un produit à base de cire qui laisse des coulées irrégulières: «cela donne un aspect trouble, sale, qui pointe ma réflexion sur la souillure», dit Bruno Tremblay. Il ajoute: «j'aime bien l'idée de ce télescopage entre deux techniques, l'ordinateur et l'encaustique, l'une qui vient du passé, l'autre très moderne».
Comme être social, Bruno Tremblay est exposé aux mêmes phénomènes, aux mêmes stimuli que tout le monde, mais comme artiste, il pense avoir le devoir d'exercer, par son oeuvre, une vigilance face à cette omniprésence des images fortes et de la publicité.
Au rythme infernal et rapide de ces images, à la somme d'informations qui passent rapidement sous nos yeux sans bien souvent pénétrer l'esprit, il oppose un travail de type contemplatif, un constat plutôt qu'un mouvement, une exposition qui, il en est bien conscient, exige un travail, une ouverture d'esprit de la part du spectateur.
Vernissage
Dimanche dernier, parmi la centaine de personnes qui ont assisté au vernissage au Musée du Fjord, plusieurs étaient de la famille ou des amis proches de Bruno Tremblay. «J'éprouvais un stress différent de celui que j'ai habituellement, car je savais que ce public ne serait pas un petit cercle d'initiés comme c'est le cas pour la plupart des vernissages. Mais cela s'est bien passé, les gens se sont montrés ouverts, ils m'ont posé beaucoup de questions et ils ont semblé aimer mon travail», nous dit l'artiste.