Emmanuelle Schmitt et Aurore de Sousa

Photographie: le regard d'une nouvelle génération
janvier 2000

par Denise Pelletier

CHICOUTIMI(DP) - Autrefois, la photographie était «utile»: elle servait à conserver, le plus fidèlement possible, les images du réel, tels paysages, portraits, natures mortes, objets, pour les familles, les archives, les musées.
Puis les photographes se sont aperçus qu'ils avaient entre les mains un instrument de création avec lequel ils pouvaient, tout comme les peintres, inventer, composer, mélanger, modifier leurs images. Comme le fait cette nouvelle génération de créateurs qui utilisent parfois la photographie seule, parfois la photographie associée à d'autres techniques, pour proposer leur propre vision du monde.
Deux de ces artistes sont présentes actuellement à la galerie Séquence (Jusqu'au 13 février) et, si elles sont d'origines et de parcours différents, leurs travaux, exposés dans une seule et même salle de la galerie, présentent plusieurs points communs. D'abord, Emmanuelle Schmitt et Aurore de Sousa utilisent la seule technique photographique. Ensuite, elles effectuent un traitement à partir de photos anciennes, du genre de celles que l'on trouve dans les albums de familles, utilisant donc des corps et des visages de gens de tout âge comme élément essentiel de leur imagerie. Et enfin, on pourrait dire que le flou et le cadre constituent chez chacune des deux artistes d'autres éléments visuels importants.
Regards
Sous le titre «Regards», l'artiste française Emmanuelle Schmitt propose deux ensembles: chacun comprend neuf photos en noir et blanc, disposées en trois rangées et trois colonnes juxtaposées: mosaïque, casse-tête ou jeu de «tic-tac-toe». Dans les deux ensembles, la photo centrale représente le double viseur d'un appareil photo, chaque «oeil» étant occupé par une même image. C'est le coeur de l'oeuvre, entouré par une série d'images qui constituent une déclinaison, ou une conjugaison d'éléments reliés à ce concept: des images dont le cadre est formé par la limite du sujet vu à travers un viseur ou déjà photographié. Les visages d'hommes, de femmes, d'enfants, semblent surgir du passé pour tenter de franchir ces cadres, disposés verticalement ou horizontalement, qui les coupent parfois, ou les orientent autrement.
On a l'impression qu'en plus de l'oeil, c'est la mémoire qui est sollicitée par ces visages surgis d'un passé que l'on ne sait pas situer exactement dans le temps. C'est le passé d'une personne, l'artiste, mais aussi celui des sujets photographiés, et par condéquent celui du spectateur qui en les regardant peut penser à son propre album de famille. Les images sont introduites dans le viseur et re-photographiées, ce qui donne une boucle infinie, un beau jeu de miroirs, d'allers et de retours entre le regard et la mémoire.
Ombre
Quant à Aurore de Sousa, native du Portugal et travaillant maintenant en France, elle soumet une série de photos intitulée «L'ombre nue». Alignées sur le mur, les images en noir et blanc sont petites et entourées d'un très grand passe-partout de couleur claire. Il faut s'approcher beaucoup  pour en distinguer le sujet, presque toujours formé de deux éléments: un objet et une personne. Par exemple, un homme et une plume, un visage surmonté d'une vignette, un cadre avec des cheveux et une main, une main et une carte. Des cadres, des photos de style ancien, des visages, des mains: plusieurs de ces objets sont volontairement rendus flous par une surexposition.
Aurore de Sousa explore donc également le jeu de la mémoire, du passage du temps souligné par l'imprécision de certains contours, de la juxtaposition entre époques et âges. Ses photos alignées constituent une écriture, fait souligné par les images de plumes et de pages écrites. Elles pointent vers une réalité invisible, sous-jacente à ce que nous appelons le réel.