Sable et pigments, comme le passage du temps
février 1999
par Denise Pelletier
CHICOUTIMI(DP) - «Pour commencer à traiter un thème, il faut que je le ressente à l'intérieur de moi». Et c'est bien ce qui s'est passé pendant deux ans pour Lynda Parent, alors qu'elle s'est sentie constamment en état d'urgence et qu'elle a préparé l'exposition qu'elle présente actuellement au Centre des arts et de la culture, sous le titre «Fragments de mémoire», jusqu'au 28 février.
C'est sa première exposition solo, mais déjà, dans une exposition collective présentée il y a quatre ans, le thème des âges, du passage du temps se dessinait, alors qu'elle avait réalisé six personnages féminins à différentes étapes de leur vie.
Son projet était donc de faire le point sur sa propre vie, son évolution passée et présente et d'exposer le cheminement personnel effectué pendant deux ans. «Je savais que j'avais des choses à dire, mais c'était flou, j'ai travaillé à cerner mes sentiments, mes émotions». Cette approche s'est réalisée par le travail des matières que l'on retrouve sur ses toiles. Le matériau le plus visible est la gaze, communément appelée coton à fromage. Lynda Parent apprécie ce tissu, parce qu'on peut l'étirer ou le comprimer à sa guise, pour obtenir des effets de tension, alterner la transparence et l'opacité. «On peut voiler certaines parties du tableau, des parties blessées, fragiles», dit-elle.
Une autre matière qu'elle utilise beaucoup, c'est le sable, qui peut être rugueux ou très doux, selon la finesse de ses grains. Quant à la couleur, les nuances possibles du sable sont en nombre quasi infini, du rouge sang jusqu'au blond presque blanc. Des amis qui vont en voyage lui rapportent du sable de divers endroits du monde, du Maroc, de la Barbade, et elle choisit donc telle ou telle sorte de sable pour sa valeur symbolique, sa correspondance mystérieuse avec le sujet du tableau.
Elle utilise aussi des feuilles de métal, découpées en cercles ou en lanières, ou alors froissées, comprimés en boule, et du papier, qui contribue à donner un effet de transparence.
Et enfin les pigments d'acrylique, qu'elle choisit en teintes issues de la terre, vert, ocre, rouge. Lynda Parent travaille donc par couches successives, inscrivant souvent des mots dans le sable, lequel se referme sur les lettres et les dissimule en partie, dissimulation complétée par l'ajout de matières et de couleurs. Ce ne sont pas des mots destinés à être lus, bien que l'on puisse parfois distinguer certaines lettres en fond de toile. Tout cela est fort intéressant, agréable à regarder, empreint d'une profondeur mystérieuse qui donne à réfléchir.
L'exposition comprend donc des toiles abstraites et d'autres comportant des éléments figuratifs reliés au corps humain: on aperçoit une épaule, une jambe, un visage par exemple, intégrés à l'ensemble, entourés de matière, de couleurs. Il y a aussi des éléments végétaux et minéraux, tels rochers, feuilles, arbres. Et des formes rectangulaires associées à des cercles.
Elle nous explique par exemple le sens d'une toile intitulée «Le chercheur d'or», qui montre un pied, une jambe et un genou, semblant appartenir à un homme qui serait penché, et des formes qui évoquent des ruisseaux coulant entre des rochers. «Je vois cet homme comme quelqu'un qui cherche des éléments dans la vie des gens, qui établit des relations avec les autres. Les courants sont comme les méandres d'une rivière, ou les ramifications d'un cerveau: le personnage est en recherche, il ne juge pas», précise Lynda Parent.
On trouve aussi une série de quatre toiles intitulées chacune «Icône», plus abstraites. Parmi les autres titres évocateurs, on peut citer «Symbiose», «Par-delà les nuages», «Les chemins du souvenir», «Le miroir d'un moment», «L'éveil», «Intimité». A l'entrée, hors de la salle, trois oeuvres où des formes plus concrètes, des corps sculptés dans l'argile, ont été intégrées. Comme «L'attachement», où on voit un corps féminin replié sur lui-même et entravé par des liens: cette évocation des difficultés, du poids de la vie a été la plus difficile à faire, selon Lynda Parent.
Si elle fait depuis très longtemps de la peinture et de l'aquarelle, Lynda Parent a découvert la valeur psychologique de cet art lorsqu'elle a étudié la méthode projective graphique, à l'occasion d'un bac en psychologie à l'UQAC. «J'ai découvert que tout ce que je faisais avait un sens, symbolique, qu'il y avait là un univers à connaître. J'ai compris pourquoi il y avait toujours un cercle, une division médiane dans toutes mes toiles. Cela m'a stimulée pour produire, et m'a aussi apporté une nouvelle vision de tout ce que j'avais créé jusque-là», dit-elle.