Montez dans son manège!
décembre 1998
par Denise Pelletier
CHICOUTIMI(DP) - Jean-François Fillion propose à Espace Virtuel une exposition originale, fascinante, et hautement interactive. En montant cette installation, intitulée «les Manèges-Transferts», il avait d'ailleurs entre autres objectifs celui de concevoir des stratégies d'implication du spectateur dans l'oeuvre.
Et pour faire le tour de l'exposition, on n'a pas le choix: il faut agir. Grimper dans une échelle pour apercevoir, en plongée, le contenu d'un réservoir. S'enfermer dans un module cylindrique, et pivoter sur un banc pour voir des sculptures. Se placer la tête dans une sorte de casque et regarder à travers des lentilles spéciales.
Au centre, le module principal invite à un geste d'abandon total: il faut s'étendre sur le dos, sur un long banc capitonné doté de roulettes, et se déplacer, avec les mains, de façon à entrer sous l'installation. A l'intérieur, on est dans le noir, et on aperçoit, au-dessus de sa tête, un module qui tourne, qui ressemble à une chouette: une loupe posée dessous permet d'apercevoir un visage humain. Un peu plus loin, un système optique laisse apercevoir une autre oeuvre qui se trouve dans la même salle.
Tout cela se déroule donc dans une obscurité transpercée d'éclairs lumineux et d'images qui se présentent au fur et à mesure que la tête du spectateur se déplace. On a l'impression de passer dans un appareil médical de type scanner. Il y a de quoi être déstabilisé, et un avertissement placé à l'entrée de la salle invite les personnes cardiaques, épileptiques ou claustrophobes à ne pas visiter l'exposition.
Ces montages représentent une quantité de travail énorme, se dit-on, idée confirmée par Jean-François Fillion, que nous avons rencontré à la galerie même. «J'ai construit tout ce qu'il y a dans cette exposition, dit-il: les structures, les sièges, les installations optiques, les moteurs, les systèmes». Se faisant tour à tour menuisier, plâtrier, mécanicien, opticien, électricien, il a travaillé le métal, le verre, le masonite, le bois, le plâtre.
Ce thème de la machine est étroitement associé à une imagerie évoquant des corps humains et animaux. Ainsi, quand on se penche au-dessus du premier module, on aperçoit, dans une eau verdâtre agitée de bulles, des éléments de couleur chair: on ne distingue pas bien, mais on croit voir une jambe repliée, un torse, une tête, peut-être une nageoire.
Le thème de la tête est très présent dans l'exposition, et notamment dans le module cylindrique: assis à l'intérieur comme dans un photomaton, on aperçoit, à hauteur des yeux, trois visages moulés qui réfléchissent une lumière bleutée. Cette cabine est par ailleurs surmontée d'un corps sculpté, doré, un corps d'homme dont un pied est chaussé d'un soulier à talon haut agrémenté d'une petite boule. On aborde alors l'univers du cirque, qui est évoqué par plusieurs éléments: les rideaux qu'il faut franchir pour entrer dans la salle, les demi-cercles, les miroirs et objets de verre, les boîtes qui font penser à ces boîtes magiques dans lesquelles les illusionnistes prétendent couper, faire disparaître ou apparaître des gens.
Tout au fond de la salle, l'installation est impressionnante: c'est une sculpture dorée où sont représentés des humains et des animaux dans une scène qui évoque le monde primitif, la mythologie et la chasse. On peut regarder directement cette oeuvre ou encore s'asseoir sur un blanc installé sur une plate-forme mobile que l'on actionne avec une manivelle, et placer sa tête sous une espèce de cloche: on regarde alors la pièce à travers un lentille déformante entourée de taches bleues. La perception est alors totalement déformée, et on éprouve une sensation de perte d'équilibre.
Outre les éléments mobiles, et motorisés, une série de miroirs, de lentilles, de verres et de prismes déforment les images et renvoient l'oeil d'une partie de la salle à l'autre, d'un module à l'autre, laissant le spectateur apercevoir furtivement, à l'occasion d'un regard jeté dans un miroir, son propre visage, entre les images de corps déformés, de visages grimaçants ou difformes issus de l'imagination de l'artiste. Ce travail sur la perception, la vision, la formation et la déformation d'images, la séduction aussi, s'est réalisé progressivement, et non pas selon un plan bien défini à l'avance, nous dit Jean-François Fillion.
Natif de Chicoutimi, celui-ci a quitté la région il y a une dizaine d'années pour faire un bac en arts à l'université Laval puis étudier en cinéma. Il est revenu l'an dernier pour effectuer une maîtrise en arts à l'UQAC. Cette exposition «les Manèges-Transferts» constitue son projet de fin de maîtrise.
Et l'interactivité qu'il propose suscite un vif intérêt: les visiteurs se font très nombreux, et plusieurs personnes, après avoir vu l'exposition, y retournent avec des amis. Le public peut encore voir cette installation de Jean-François Fillion aujourd'hui de 13h30 à 16h30 à Espace Virtuel.