Doyon-Demers

Prendre les oeuvres d'art au filet
octobre 1997

par Denise Pelletier   

CHICOUTIMI(DP) - Les gens qui se sont rendus sur la rue Riverin, aux abords de l'autogare pendant cette semaine et surtout hier en fin d’après-midi ont pu être témoins d'une installation et d'une performance. Deux artistes québécois, Hélène Doyon et Jean-Pierre Demers, ont installé, au-dessus de la rue, un ensemble de fils entrecroisés formant un filet, une résille, ou plus précisément un trampoline sur lequel ils se sont tenus au cours de la performance offerte hier.
Le travail d’édification de cette structure, poursuivi pendant la semaine dans le cadre des activités hors-murs de la galerie Espace Virtuel, s’appelle «ixer» le territoire, et l’oeuvre et la performance s’intitulent «Site de capture». Leur filet comprenait deux séries de 33 fils métalliques entrecroisées, formant des carrés de trois pouces de côté. Les fils étaient fixés d'un côté à l'édifice du 197 Riverin, abritant les locaux de Lubie, et de l'autre aux piliers de l'autogare. S’ils ont choisi un espace urbain à Chicoutimi, les deux artistes, qui ont pris le nom de Doyon-Demers, ont déjà exécuté le même type de performance sur d’autres territoires, dans une forêt à Saint-Raymond de Portneuf, dans un champ à Matane, sur un quai à Terre-Neuve ou encore sur un tronçon d’autoroute à Québec, par exemple.
Depuis une dizaine d’années, Doyon/Demers réalisent des installations et performances dans des lieux non traditionnels de l’art, et veulent par cette action poser des questions sur l’art. Par exemple: où se situe-t-il par rapport à l’ensemble des structures socio-économiques actuelles?

Ainsi hier, se tenant debout l'un face à l'autre en équilibre instable sur leur filet fortement secoué par un vent frisquet, filmés en gros plan, ils ont tenu un dialogue, dont on suppose qu'il leur est familier. Ils s'interrogeaient sur les artistes, le lieu de l'art, le jugement porté sur les oeuvres. L'art est a-social, la culture le rend social, disaient-ils entre autres.
Le public, peu nombreux à cette heure et dans ce secteur de la ville (en fait leur vrai public, c'étaient les personnes invitées à la performance, qui, bien au chaud dans les locaux du journal Lubie, pouvaient les voir sur un écran et entendre leur dialogue), pouvait percevoir ces deux artistes comme des acrobates obligés de maintenir sans cesse un équilibre, pour éviter la chute ou la disparition. Ils voudraient, suggérait néanmoins leur dialogue, être des membres importants de la société, bien que leur rôle consiste toujours à déranger l’ordre établi.
Par cette intervention réalisée à Chicoutimi, alors qu'ils étaient accueillis en résidence d'artistes par Espace Virtuel, ils remettent en question tout le champ de l’art: la représentation, le lieu de production et de diffusion, le support de l’oeuvre.
Au cours de leur carrière de performeurs, les deux artistes interdisciplinaires ont réalisé diverses actions en ce sens, par exemple une «zone d’essai pour oeuvres et oeuvres d’art d’assaut», un «parc pour dépôt et échange d’oeuvres  excédentaires», une «aire de service pour oeuvres d’art». Il s’agit toujours pour eux, et c’était aussi le cas à Chicoutimi, de réaliser une «aire de manoeuvres» pour les oeuvres et oeuvres d’art.
Produisent-ils eux-mêmes des oeuvres d'art? La question reste posée.