Quand les images nous regardent
août 1996
par Denise Pelletier
JONQUIERE (DP) - Les traits du visage, figés et immobiles, semblent pourtant nous regarder d’un au-delà mystérieux, qui nous attend tous mais dont nous ne savons rien. Et non pas les traits d’un seul visage, mais ceux de quelques centaines d’entre eux, que l’histoire a retenus pour des raisons de célébrité, tandis que les milliards de leurs semblables ayant vécu à côté d’eux sont tombés dans l’oubli.
C’est l’une des idées qui peuvent se dégager de l’exposition «Les apparences», de l’artiste québécois Paul Béliveau, que présente le Centre National d’exposition jusqu’au 29 septembre. Cette installation a été montrée dans plusieurs galeries, à Montréal, Québec, Toronto, Ottawa, et le catalogue réalisé par un regroupement de ces galeries fait comprendre que l’oeuvre centrale a subi des transformations d’une fois à l’autre. Cette pièce principale, et presque la seule de l’exposition, comprend 140 photos ou portraits, noir et blanc en diverses nuances telles que bleu, sépia, gris. On y reconnaît des artistes, comédiens, acteurs, écrivains, philosophes, chercheurs scientifiques, hommes et femmes. Les images, semblables à celles qui sont reproduites dans les dictionnaires, par exemple, ont toutes le même format, environ 4 X 6, et ont toutes été, dans un premier temps, traitées de la même manière: prélevées, agrandies, puis appliquées, par un procédé d’impression, sur un rectangle de ciment qui leur sert de cadre.
Chaque rectangle a ensuite été installé sur un support individuel, fait de morceaux de bois, clous ou métal: chacun de ces supports est différent des autres et ils sont de hauteurs inégales, plaçant ainsi les visages montrés à des hauteurs variées.
Disons encore que ces visages sont posés à plat, regardant vers le plafond, dans une grande construction dont les côtés relevés sont en bois noir à l’extérieur, et doublés de miroirs à l’intérieur.
Pour bien voir les photos, il faut donc monter sur les blocs disposés autour de l’installation et les regarder en plongée. C’est dire que, seulement pour voir l’oeuvre, le spectateur doit se soumettre à quelques contraintes inhabituelles: monter une marche, et ensuite regarder vers le bas. Cette mise en situation favorise le contact, la concentration du spectateur, qui ne peut rien faire d’autre, une fois installé comme il convient, que regarder, et se déplacer autour du socle pour mieux voir les différentes parties de la surface.
Ensuite, on peut s’amuser à tenter de reconnaître les visages. Certains visiteurs identifieront d’emblée la plupart d’entre eux, que ce soit Baudelaire, Wagner, Einstein, Victor Hugo, Anne Hébert, Marie Curie, Balzac, et ainsi de suite. D’autres (c’est mon cas), incapables de faire cet exercice, déploreront que l’exposition ne soit pas accompagnée d’une feuille permettant d’identifier les sujets photographiés.
L’artiste ou les spécialistes pourront prétendre que l’identité de chaque visage n’est pas vraiment importante, puisque ce qui compte c’est l’ensemble de l’oeuvre, son effet, le trajet qu’elle impose au regard et à l’esprit, reste que le désir de savoir est lui aussi fort légitime.
Ceci dit, l’oeuvre est fort intéressante, et on peut mentionner qu’une autre série, comprenant une quarantaine de portraits traités de la même façon, est accrochée à l’un des murs, mais très haut, de sorte que l’on doit vraiment lever la tête pour les voir: une autre variation donc sur la sorte d’attraction que veut exercer l’oeuvre sur celui qui la regarde. L’exposition est complétée par une toile de grand format, en nuances d’un jaune diffus, où Adam est représenté comme un vieillard s’appuyant sur un bâton pour marcher sur les toits d’une ville.
Paul Béliveau est né à Québec en 1954, il a exposé, en solo et en groupe, dans plusieurs galeries du Québec et d’ailleurs, et il vit maintenant de son art.