Joanne Villeneuve

Théières, sculptures et nature
janvier 1995

par Denise Pelletier
LA BAIE (DP) - Bien que ce soient des théières, il serait impossible d’y servir, et encore moins d’y boire du thé. En fait, ce ne sont pas de véritables théières, ce sont plutôt des sculptures intégrant la céramique et le bois que nous propose Joanne Villeneuve au Musée du Fjord jusqu’au 26 février.
Il est fort possible d’aller voir cette exposition, de la comprendre et de l’apprécier sans connaître précisément la démarche de l’artiste. Les objets sont beaux, les textures variées, on comprend aisément qu’il y a à la fois opposition et symbiose entre la théière et la ou les pièces de bois, celles-ci se présentant comme des objets qui rompent, séparent, déforment le projet original pour finalement s’y fondre.
Une rencontre avec l’artiste nous a toutefois permis de lui poser des questions qui pourront aider à mieux cerner son projet. Pourquoi la théière, d’abord? Devenue maintenant sculpteure et souhaitant le demeurer, Joanne Villeneuve, une Saguenéenne d’adoption, a cependant un passé de céramiste, à la fois en sculpture et en création utilitaire.
«Quand on fait de la poterie, explique-t-elle, la théière représente un défi particulièrement difficile: elle doit avoir un couvercle qui s’ajuste parfaitement, qui ne tombe pas quand on verse, une anse solide et pratique, un bec qui ne soit pas placé trop bas». Bref, c’est un objet qui paraît simple mais qui est relativement complexe.
Joanne Villeneuve s’est donc servie de l’idée de la théière comme base de ses sculptures. Pour mieux comprendre son travail, il faut d’abord se diriger vers les huit demi-théières bleues alignées sur deux tablettes fixées au mur. En  fait, il n’y a que la moitié supérieure de chaque théière, corps et bec, la moitié inférieure reposant au sol, cassée en morceaux.
Le visiteur est invité à soulever délicatement le couvercle de chaque théière: il aperçoit alors une photo noir et blanc représentant la rencontre entre un arbre et un artefact, un objet fabriqué par l’homme. La croissance de l’arbre a été modifiée mais non arrêtée: il a entouré l’artefact, s’y est enroulé, ou encore l’a recouvert, comme par exemple cet arbre assez connu de la rue Saint Louis à Québec (représenté sur l’une des photos) dans le tronc duquel s’est logé, on ne sait trop comment, un boulet de canon.
Ces photos, dit l’artiste, évoquent une rencontre entre la nature (l’arbre) et la culture (l’artefact). Des forces opposées qui finissent par coexister et se compléter. Joanne Villeneuve propose une vision «positive» de ces phénomènes, sans élément de critique à saveur  écologiste.
Chacune de ses sculptures intègre un artefact, soit une planche de bois trouvée flottant dans la Baie des Ha!Ha! ou encore sur la rivière du Moulin. Cet artefact vient moduler la sculpture, influencer le geste créateur qui invente des formes et des matières pour contourner et entourer la planche. La théière est fissurée comme une écorce («théière trait d'union), posée sur quatre pattes («théière quadrupède»), fendue obliquement sur toute sa hauteur («théière oblique»), ou encore découpée en tranches aplaties («table nappée d'une théière»). Parfois la sculpture intègre de la pâte de verre qui évoque le contenu liquide, le thé.
La théière joue donc le rôle de l’arbre, parce qu’elle est faite d’une matière vivante, qu’elle naît et grandit sous les doigts de l’artiste. Bien qu'étant au fond un objet de culture, une création, elle symbolise ici la nature, opposée à la culture, représentée elle par une planche ayant autrefois été élément d’un objet utile.
Projets
Cette recherche pour trouver des planches a permis à Joanne Villeneuve de faire d’autres découvertes: «j’ai aussi ramassé, sur l’eau ou sur la grève, des branches d’arbres grugées par les insectes: les dessins ainsi formés ressemblent à une calligraphie, j’y vois le parallèle avec les lignes imaginaires dessinées par le parcours des avions». Son prochain travail pourrait donc intégrer ces branches, toujours avec de la céramique car c’est pour Joanne Villeneuve un matériau de choix. Elle a fait beaucoup de recherche pour arriver aux glaçures présentées dans l’exposition: autant pour obtenir certaines couleurs que des textures qui ont l’air fissurées ou craquelées.
De plus, chacune des oeuvres est le résultat de calculs mathématiques assez précis: «il faut, à l'avance, déterminer les effets de la cuisson, les angles formés par les pièces, trouver le meilleur équilibre» dit l'artiste qui présente cette exposition, intitulée exactement «Évocations métaphoriques des rapports nature/culture ou sculptures de théières» dans le cadre de sa maîtrise en arts plastiques à l'Université du Québec à Chicoutimi.