Objets récupérés assemblés en réseaux
février 2003
par Denise Pelletier
(DP) - Truffé d’allégories, de métaphores, de glissements de sens, le discours d’Yves Tremblay ressemble à son Estacade, où sont à l’oeuvre des courants dont la force soulève parfois la surface et laisse entrevoir l’énorme pression à laquelle est soumis l’ensemble.
Cette Estacade, c’est le titre de l’installation qu’il présente à Espace virtuel jusqu’au 14 mars, est constituée d’un grand nombre d’éléments identiques qui convergent ou s’opposent selon la direction d’où on la regarde. Ces éléments ce sont des mandrins, ces tubes creux qui supportent les rouleaux de papier, dans l’industrie: ils ne servaient plus à rien, il y en avait 2500, on les lui a offerts. Tout de suite, Yves Tremblay y a vu ... y a vu des tas de choses. Cellules, molécules, unités appartenant à une plantation, à une société, à tout organisme qui est à la fois la somme - et plus que la somme - de ses parties.
Et il s’est mis à jouer avec tout ça, d’abord dans son atelier chez TouTTout, puis sur place, dans la galerie, se tenant à l’extérieur de la ceinture de l’estacade pour en déplacer les éléments avec un grand bâton, tel un draveur poussant ses «pitounes». C’est l’image qu’y a vue Christine Martel, auteure en résidence qui écrit des textes en s’inspirant du travail d’Yves Tremblay.
L’estacade forme donc un champ posé par terre, à la fois plat et en trois dimensions, dont les mandrins, tels des électrons libres, semblent s’attirer ou se repousser mutuellement, créant des courants, des pressions, qui, à la manière d’une ébullition, provoquent quelques soulèvements de la surface. Quelques-uns de ces mandrins, qui ressemblent à de petites rondelles creuses et moulées, sont recouverts d’une rondelle plate qui sert de bouchon. Un manche de pelle émerge quelque part de cette surface, laissant entrevoir par un jeu de reflets ce qu’il y a au-dessous: profondeurs obscures agitées de mouvements mystérieux et peut-être inquiétants.
Et le long du mur, un ensemble de baguettes de bois qui appartenaient à l’origine à ces appareils d’exercice au mur installés dans les gymnases: posées à la verticale, elles supportent chacune l’extrémité d’une tige de métal courbée dans diverses directions. Yves Tremblay y voit un système d’écriture, comme un ensemble de plumes ou crayons dont on attend qu’ils forment des mots, ou encore comme les aiguilles d’un sismographe témoignant des mouvements de l’oeuvre ou de l’âme.
«Un système blond et paresseux»: telle est l’une des descriptions que donne l’artiste de son installation. Des trames et des lignes se dessinent, et, par le jeu de l’éclairage, sont ou non perceptibles selon le point de vue de celui qui regarde, ce qui fait de la présence physique du visiteur, et de l’interaction entre celui-ci et l’oeuvre, un élément important de l’exposition.
À l’entrée de la salle, une petite installation appelée «dépôt d’armes»: des bocaux dans lesquels plongent des pièces qui ressemblent à des fusils ou à des couteaux, mais qui sont en réalité des éléments métalliques de grilles de chauffage, le tout est recouvert de corde tricotée formant un filet. C’est un «ensemble cheap», c’est flou, on ne sait pas à prime abord ce que c’est, si ce sont vraiment des armes, dit Yves Tremblay.
C’est en donnant des pistes d’interprétation de son oeuvre que l’artiste se manifeste comme partie prenante du monde où il vit, comme un homme sensibilisé aux questions d’environnement, de politique, de choix de société. Son Estacade, comme plusieurs autres installations qu’il a réalisées au cours des années, c’est l’absurde érigé en système, un phénomène présent sous diverses formes dans la société actuelle.
L’homme a tendance à produire des systèmes complexes et sophistiqués dans lesquels il se piège lui-même, selon lui, qui en donne pour exemple la question du clonage. La propagande, prenant la forme d’un savant enrobage médiatique, issu d’articles scientifiques, photos, témoignages, veut faire croire que le clonage est un projet, une expérience nécessaire et utile. Mais quand on examine bien la question, on s’aperçoit que le clonage n’a et ne peut avoir à peu près aucune utilité réelle pour l’homme. La dynamique qui active tout le débat est donc très pauvre: «c’est gros bête et idiot, comme cette Estacade», dit-il.
Inertie politique à Saguenay
Bien qu’il n’ait rien perdu de sa passion pour l’art, Yves Tremblay déplore la situation actuelle de la culture à Saguenay. «Les gens font semblant de comprendre et de prendre des décisions, mais ça traîne en longueur. Il n’y a pas de volonté politique de faire bouger les choses, et pourtant les artistes, les organismes ont besoin d’aide pour produire et se développer».
«Le public et même les décideurs ont une vision folklorique et médiatique de la culture, c’est devenu une mono-culture, on parle toujours des mêmes événements, des vedettes, c’est un truc à argent qui marque un appauvrissement des idées et de la créativité», dit-t-il. Il a d’ailleurs sous-titré son installation «Art/Gens».