Claudine Cotton

Percutante perception
décembre 2000


par Denise Pelletier

CHICOUTIMI(DP) - La myopie, et les troubles de la vision en général, soulèvent des questions fondamentales sur la perception. C'est en tout cas ce que pense l'artiste Claudine Cotton, et c'est un sujet sur lequel elle travaille depuis quelque temps, puisant ses idées dans son expérience personnelle. L'exposition «Borderline», qu'elle présente actuellement à la galerie Séquence, en témoigne de façon multiple et percutante. Nous avons d'abord fait avec elle une «visite guidée» de son installation, qui occupe les trois salles de la galerie.
«Le déclic s'est produit il y a quatre ans: j'ai eu l'idée de travailler sur la perception et j'ai laissé mijoter tout cela jusqu'à maintenant», dit-elle. Elle a présenté en janvier dernier une première version de son installation à la galerie Articule à Montréal.
Elle évoquait alors une contrée rendue lointaine du fait de la difficulté à la voir, tandis qu'à Séquence, elle propose plutôt des idées sur ce que l'on voit à l'intérieur de soi, et sur le fait que toute perception est orientée, modifiée, affectée par ce que l'on est. Selon nos idées, notre état d'âme, nos refus ou nos adhésions à des objets ou à des personnes, «on choisit ce que l'oeil voit, et comment il le voit», explique l'artiste, et il demeure toujours ardu d'être franc avec sa propre vision. Franchise déjà mise en péril par le fait de porter des lentilles de contact: on cherche ainsi à camoufler le fait qu'on ne voit pas bien.

Toute l'exposition est d'ailleurs édifiée autour de la lentille de contact, qui lui sert d'unité de base, comme la brique est l'unité de base d'un édifice. Là où c'est le plus évident, c'est dans la troisième salle, où l'artiste a construit un «double foyer» et fabriqué plus d'une centaine d'insectes. Chacun de ceux-ci est formé de deux lentilles cornéennes formant les ailes, réunies par une petite ampoule, et les antennes sont formées par deux cils de l'artiste. Les «insectes» sont disposés dans deux cadres de fenêtre, l'un fermé, l'autre ouvert et qui les laisse échapper vers le mur où elles ont été fixées: c'est cela, le double foyer. Un autre élément, un boîtier de verre, contient en quelque sorte deux yeux fermés: la ligne des paupières est dessinée par des chas d'aiguilles dans lesquels sont enfilés des cils.
Il se dégage de cette salle une impression de douceur, de délicatesse, alors que la salle du centre, occupée par des éléments relatifs à l'imagerie du Far West, est «une salle dure», qui évoque la conquête d'un territoire sans cesse menacé et menaçant, explique Claudine Cotton. Plusieurs éléments, selle, tapis, loups (masques), sont confectionnés en gomme, le matériau des gommes à effacer: présence et absence à la fois. L'élément le plus frappant est une corde formant un noeud coulant, fabriquée en néon lumineux rose, qui éclaire et «contamine» tout le reste. Aussi une ceinture de tir sur laquelle, au lieu de cartouches, Claudine Cotton a inséré des petites bouteilles comme celles dans lesquelles les fabricants placent les verres de contact. Elle a moulé des doigts, sur le bout desquels on place la lentille avant de la porter à son oeil, et des bouts de pied, enfilés dans des bouts de bottes de métal, posés sur des pistes de caoutchouc. Sur chacun, elle a inscrit quelques mots d'un texte décrivant le rituel de l'enlèvement et de la pose des lentilles, qui commence ainsi: «chaque soir, je prends mes deux petits yeux invisibles et je les noie dans des solutions stériles».
Jeu du visible et du perçu,  topographie du regard, qui est lui-même un écran, une barrière comme celle en bois construite par l'artiste, et qui permet la création des objets: voilà quelques pistes indiquées par Claudine Cotton pour nous permettre d'appréhender son installation. Mais on en découvre bien d'autres en parcourant ces éléments à fort potentiel signifiant: la métaphore des loups, à la fois masques et animaux dangereux, le néon rose évoquant tout autant le clinquant factice et le lasso qui emprisonne et qui tue. On peut penser aussi au reflet et au mirage, au brouillard, à l'opacité et à la transparence, à la circulation des fluides et des liquides, entre autres.
Suite logique de ses précédents travaux, l'exposition «Borderline» prend place aussi dans l'ensemble des manifestations organisées par Claudine Cotton. Ce qu'elle appelle des manoeuvres poétiques, qui impliquent non seulement la confection de pièces et d'objets considérés comme des oeuvres, mais des actes interdisciplinaires mettant en cause les personnes ou les éléments du milieu où ils se tiennent.
Par exemple, elle réalisera bientôt un projet issu de «Borderline» et appelé «La clinique visuelle Trois motifs de souplesse», en collaboration avec le centre d'artistes Dare-Dare à Montréal. Elle a demandé à divers consultants de lui fournir des «motifs de souplesse», sous forme textuelle et graphique. Elle réalisera, à partir des propositions reçues, des dépliants comme ceux que l'on trouve dans les cliniques visuelles pour vanter les nouveaux produits. Ces dépliants seront, dit-elle, des filtres pour apaiser les yeux, il s'agit donc, en réalité, de «poésie palliative».