Pierre Hamelin

Traquer l'univers en décomposition
octobre 2000

par Denise Pelletier

CHICOUTIMI(DP)- A la galerie Le Lobe jusqu'au 12 octobre, Pierre Hamelin propose «Instatique 2», un travail qui pose un regard sur l'aspect tragique du monde, mettant en évidence la détérioration et la désagrégation qui atteignent toute chose, et en particulier les matières organiques. Au cours d'une résidence qui a duré dix jours, il a mis en place son installation à partir d'éléments déjà utilisés pour une première édition du projet «Instatique», à la galerie Rouje de Québec, ville où il vit et travaille.
Ces éléments, ce sont de minces nappes d'un liquide brunâtre et visqueux qui est en réalité de la mélasse, répandues au sol. Cette substance figure à merveille les mares stagnantes où se développent micro-organismes, parasites et vie larvaire, mondes morbides qui provoquent chez l'humain fascination et dégoût. D'ailleurs, au Lobe, quelques insectes se sont englués dans les «lacs» de mélasse, comme pour renforcer, de façon fortuite mais pertinente, les idées de détérioration et de mort développées par Pierre Hamelin.
Par ailleurs, l'exposition est très dépouillée: l'espace de la galerie, pourtant minuscule, n'est pas entièrement occupé par les objets qui viennent se greffer à ces nappes noirâtres et qui sont marqués par le temps: morceaux de métal rouillé, ossements ou cornes d'animaux, fibres, vieux tissus, pièces ayant appartenu à des jouets ou à des ustensiles, qui sont fixés au mur ou suspendus au plafond.

Ces objets cependant ne sont pas offerts tels quels: l'artiste a effectué sur eux un travail de mise en scène qui oriente le regard et la perception du visiteur. Ainsi, un tuyau rouillé a été fixé au mur, et plié de façon à ce que son extrémité pointue évoque irrésistiblement la tête d'un oiseau. Des fils d'étoupe d'une vieille vadrouille rassemblés sur un support évoquent une tête humaine.
L'ensemble le plus frappant est celui formé de trois têtes de cerfs autour d'une flaque de mélasse. Ces têtes sont en réalité des supports utilisés en taxidermie: on dirait des carcasses abandonnées au bord d'un lac en décomposition, animaux empoisonnés ou victimes de chasseurs se désagrégeant lentement dans un paysage désertique. Aussi remarquable, un simple tableau fixé au mur: dans le cadre, au lieu d'une peinture, on trouve une série de bandes de papier tue-mouches déployées horizontalement.
Pierre Hamelin a terminé sa période de résidence en proposant, à la galerie Le Lobe, une performance au cours de laquelle il a présenté des projections au mur, où les images étaient celles de divers fluides et liquides s'agitant lentement en divers sens. Il a également lu un long texte poétique dans lequel sa pensée est exprimée par des termes précis, et à la limite choquants, évoquant la détérioration des chairs et tissus, l'écoulement et la circulation des humeurs, images de substances dévorées, d'organes s'interpénétrant, d'un monde grouillant entre vie et mort, à la fois mystérieux et inquiétant.