Gabor Szilasi

Un regard qui transfigure l'ordinaire
septembre 2000

par Denise Pelletier

JONQUIERE(DP) - Peut-être faut-il venir de l'extérieur pour jeter sur le Québec d'autrefois et d'aujourd'hui un regard particulièrement attentionné en projetant à l'avant-plan d'infimes détails tirés des vies les plus humbles, des lieux les plus apparemment banals. C'est en tout cas ce qu'a fait, depuis son arrivée au Québec en 1954, le photographe d'origine hongroise Gabor Szilasi. Et on peut avoir une très bonne idée de son travail en visitant l'exposition «Gabor Szilasi, photographies 1954-1996», présentée au CNE jusqu'au 26 mars.
Préparée par le Centre de production et de diffusion de la photographie Vox Populi, de Montréal, cette rétrospective comprend une centaine de photos réalisées par l'artiste, qui a contribué, dans les années 60, à créer une esthétique nouvelle du documentaire et qui fut l'un des pionniers de la photographie d'auteur au Québec.
Ces photographies sont regroupées par séries et par thèmes: la campagne, les façades, les intérieurs, la ville de Montréal, les portraits, entre autres. Dans chacune, on retrouve cette préoccupation de bien montrer la vie, l'univers d'une personne, d'un couple, d'un groupe social, par des images qui sont révélatrices sans tomber dans l'indiscrétion.

Une série de photographies prises entre 1970 et 1978 illustre par exemple le Québec rural, celui du moins qui n'avait à ce moment-là guère été touché par la révolution tranquille et l'irruption des technologies modernes. Deux vieilles dames, des jeunes gens à une course de «stock cars», Madame Alexis Tremblay de L'Ile aux Coudres, un jeune couple devant une voiture. Si ces gens se sont arrêtés le temps de faire quelques photos, ce qui frappe, sur ces clichés c'est leur attitude naturelle, toute simple. Ni héros ni vedettes, des personnes parfaitement intégrées à l'univers qui les entoure, mais qui, paradoxalement, font irruption dans d'autres univers, ceux des salles d'exposition et de leurs visiteurs.
Et Gabor Szilasi a photographié non seulement des personnes, mais les lieux où elles habitent. Par exemple, la maison des Houde: sur des photos différentes, on voit la cuisine, les chambres, une salle de bains. Crucifix au mur, bibelots de collection, baignoire peinte en bleu turquoise, autant de détails qui rattachent ces intérieurs et ces objets à des personnes que l'on ne voit pas sur la photo.
Dans une autre série, le photographe s'est intéressé aux façades des maisons, dans diverses villes du Québec. Et dans une autre, à la ville de Montréal: il a photographié des façades et des enseignes de commerces, le Club Soda, les Frites Dorées, et le cinéma Loews, par exemple, où on peut voir le titre des films projetés à ce moment-là, en 1979: «James Bond, the Spy Who Loved Me» et «Outlaw Blues», avec Peter Fonda.
On trouve aussi dans cette exposition quelques portraits, où c'est vraiment le visage des gens qui occupe tout l'espace, de même que quelques photos réalisées en Hongrie et en Italie. En revanche, il n'y a pas de photos de paysages. Gabor Szilasi, qui était d'ailleurs présent au vernissage de son exposition le 4 février dernier, a peut-être photographié des paysages à l'occasion, mais tout son travail démontre bien que ce qui l'intéresse avant tout, c'est l'être humain: ce que sont les gens, ce qu'ils font, comment ils transforment et adaptent leur environnement à leurs besoins et à leurs goûts.