Marcel Duchamp (1887-1968)

Parcours hors norme d'un créateur d'exception (Marcel Duchamp)
décembre 1998

par Denise Pelletier

JONQUIERE(DP) - Le Centre National d’exposition présente jusqu’au 28 février une exposition tout à fait exceptionnelle consacrée à  Marcel Duchamp, peintre, sculpteur, créateur né en France et qui a passé une grande partie de sa vie aux États-Unis. Intitulée «Marcel Duchamp, Poussière de l’une et ready-mades, etc», cette exposition a été préparée pour la tournée par le Musée des Beaux-Arts d’Ottawa, à même sa collection permanente, à laquelle s’ajoutent quelques oeuvres en provenance du Musée de Philadelphie. L’exposition couvre de nombreuses facettes de l'art de Duchamp, sans pouvoir les épuiser, car l’artiste, né en 1887 et mort en 1968, a exploré les domaines, les sujets, et les modes d'expression les plus variés. Sacré «anti-artiste» en 1943, il aurait préféré le terme «anartiste», un jeu de mots tout à fait dans sa manière, approprié à son attitude critique face au système établi de l’art, au commerce des tableaux et aux galeries. Il disait que la peinture est une intoxication à la térébenthine, une «masturbation olfactive». On apprend cela, et bien d’autres choses indispensables à la compréhension de l’exposition, de l’homme et de son oeuvre, en lisant le très intéressant texte distribué aux visiteurs qui se rendent au CNE.
Marcel Duchamp, dont l’oeuvre fut découverte assez tardivement, même s’il avait été, dans les années 20, courtisé par les surréalistes, est aujourd’hui reconnu comme l’un des artistes importants du 20e siècle, dont il semble avoir d’ailleurs anticipé tous les courants: pop’art, art optique, art en progrès, performance, art pauvre. Très moderne aussi fut la place donnée par Marcel Duchamp au discours qui entoure et prolonge l'oeuvre, teinté d'humour et d'absurde, au calembour qui renvoie de l'image à l'écrit et inversement. Dans l'esprit de la pataphysique et du mouvement dadaïste, il considérait que l'art est une activité de l'esprit, et non pas la production d'oeuvres destinées à être vendues.
 
Le conservateur du MBA du Canada, David Monkhouse, que nous avons rencontré pendant le montage de l’exposition, nous a montré comment les 45 oeuvres présentées au CNE dessinent le parcours tout à fait hors norme de Marcel Duchamp. Les plus remarquables sont bien entendu les ready-mades, placés au fond de la salle: du plus célèbre, l'urinoir renversé intitulé «Fontaine», jusqu'à la roue de bicyclette fixée à un tabouret, en passant par la pelle qui porte l’inscription «en avance du bras cassé», le porte-bouteilles, la  housse Underwood sur pied de lampe, le porte-chapeaux, et la «Veuve fraîche», fenêtre aux vitres recouvertes de cuir noir. Des objets usuels, achetés ou récupérés par l'artiste, qui les a réinterprétés par des associations ou des inscriptions: ils sont donc, de ce fait, devenus des oeuvres. La fontaine-urinoir était si scandaleuse qu’elle n’a pas été exposée à New York comme prévu, mais une photographie publiée dans une revue d’art a contribué à la diffuser. Les ready-mades exposés, dont le Musée d’Ottawa a fait l'acquisition au cours des années, sont des exemplaires réalisés par la galerie Schwarz, de Milan, sous la supervision de Marcel Duchamp, en tirages limités à moins de dix exemplaires, explique David Monckhouse.
Les «rotoreliefs» quant à eux sont bien représentatifs du volet cinétique de l’oeuvre de Duchamp: ce sont des disques en carton comportant des dessins circulaires. Quand ils tournent sur eux-mêmes, cela produit un effet tridimensionnel tout à fait hallucinant. Ces formes abstraites, cercles, lignes, spirales, deviennent par ailleurs des objets concrets, familiers, animés et vaguement libidineux, pour peu qu’on prenne la peine de lire leurs titres: «Cage», «Escargot», «Oeuf à la coque», et de les regarder d’un seul oeil.
Un module comprenant des dessins, et des gravures sur verre, est consacré au «Grand verre», un projet complexe auquel Duchamp a travaillé pendant plusieurs années. La «boîte en valise» réalisée par l'artiste est un véritable musée portatif contenant des reproductions ou des photos d'oeuvres de Duchamp. Plusieurs dessins et tableaux, notamment le «Nu rouge», mettent en évidence l'inspiration érotique de Duchamp, qui a souvent inséré des motifs sexuels, évidents ou dissimulés, dans ses travaux. Dans la même veine, on trouve «Prière de toucher», une couverture de livre dont l'élément principal est un faux sein en latex.
La première vocation du CNE n’est pas de diffuser l’art international, mais il le fait à l’occasion, et l'exposition consacrée à Marcel Duchamp constitue une de ces occasions qu'il ne faut pas rater. Non seulement à cause de la renommée de l’artiste, mais parce que son oeuvre, comme sa vie, est une source extrêmement riche d’interrogations et de réflexions pour tous ceux qui s’intéressent à l’art.