Rachel Echenberg

Flacons de rivières frémissantes
juin 1998

par Denise Pelletier

CHICOUTIMI(DP) - Une série de petits flacons contenant un liquide transparent, alignés sur trois tablettes fixées au mur à hauteur de vue: voilà comment apparaît à prime abord l’installation «Une collection de rivières» présentée par Rachel Echenberg à la galerie Le Lobe de l’Oreille coupée, jusqu’au 27 juin. Signalons que c’est la première exposition présentée par cette galerie depuis son déménagement à la maison des artistes, rue Nil-Tremblay dans le secteur Rivière-du-Moulin.
Puisqu’il y a le mot «rivière» dans le titre, on imagine facilement que le liquide contenu dans ces flacons est de l’eau. Chacun porte une petite étiquette bleue qui constitue sa fiche d’identité, comme s’il s’agissait d’échantillons de laboratoire. Mais les noms inscrits à la main sur ces étiquettes tiennent plus de la poésie que de la chimie. Rivière de l’oubli, rivière du désir, rivière de satisfaction, rivière de l’attente, rivière de nostalgie, et ainsi de suite. Il y a 72 noms de rivières différents, reliés à des sensations, à des émotions ou à des activités humaines: confort, clarté, langues, excès, acceptation, mensonges, chance, pour citer quelques autres de ces noms de rivières.
Ces petits flacons ne sont pas immobiles: un frémissement les agite sans cesse, de sorte qu’ils se déplacent très légèrement, s’entrechoquant à l’occasion, ce qui produit un léger tintement de verre. Rencontrée sur place, l’artiste multidisciplinaire montréalaise nous explique que l’eau l’a toujours fascinée et qu’elle l’utilise dans de nombreux projets, à cause de sa fluidité, et de ses grandes possibilités de transformation. Elle ne veut pas donner elle-même une direction à la pensée des éventuels visiteurs. Elle préfère laisser agir la magie, qui va susciter l’émotion et lui donner différentes directions.

On peut tout de même expliquer que l’oeuvre exposée fait partie d’un projet global qui comprend aussi un recueil de textes, bilingue, distribué au visiteur. Ce texte fait référence à une performance mise au point par Rachel Echenberg, dans laquelle elle incarne une nymphe qui se tient au milieu d’une fontaine d’où l’eau jaillit. La mère de cette nymphe, il y a 400 ans, aurait vendu des échantillons de rivières ayant certains pouvoirs magiques. On l’appelait «vendeuse d’amour» car les eaux liées à l’amour étaient les plus demandées. Elle se promenait, dans les villes, villages et châteaux, offrant des eaux aux pouvoirs spécifiques, tirées de rivières dont elle seule connaissait les secrets. Les gens demandaient des eaux pour diverses raisons: guérir des maladies du corps et de l’âme, provoquer la volupté, ressusciter la mémoire, favoriser des rencontres amoureuses. En devenant mère, elle a constaté que l’effet des sorts s’était dissipé, elle a donc mis un terme à sa vie. Et la nymphe, sa fille, tente de retrouver les échantillons des rivières de sa mère, et à travers eux, la science et les pouvoirs qui leur appartenaient.
Cela fait référence au monde moderne, dans lequel, au lieu d’eaux magiques, il y a des humains spécialistes de tout: maladies, troubles mentaux, problèmes d’argent, de travail, de relations humaines.
Les visiteurs de l’exposition peuvent se procurer, outre le livre, un mini-flacon sans étiquette, qui contient de l’eau. Chacun peut, selon Rachel Echenberg, en faire ce qu’il veut: choisir, non pas de façon précise et scientifique, mais par le jeu de ses émotions, de quelle rivière provient son échantillon, changer d’idée, se promener de l’une à l’autre en construisant son propre récit.
Née à Montréal où elle a suivi une formation en arts plastiques, Rachel Echenberg a ensuite étudié et travaillé à Halifax et à Chicago avant de revenir s’installer à Montréal. Parmi ses performances, on peut citer, outre «The Water Nymph Project» qui fut présenté à Struts et à Oboro, «Street Performance», «Smoothed Solid» et «I-Man».