Daniel-Jean Primeau

Des questions tranchées au couteau
janvier 1995

par Denise Pelletier

CHICOUTIMI (DP) - L'artiste Daniel-Jean Primeau tranche véritablement ses sujets. Intitulée «Tranches de vie», l'exposition qu'il présente à Espace Virtuel jusqu'au 27 janvier contient essentiellement des objets de la vie quotidienne dont on peut voir une coupe, comme s'ils avaient été tranchés net par un grand couteau.
Certaines tranches ont été tirées d'objets plutôt volumineux et sont simplement posées sur le plancher, comme de grandes sculptures: il y a là une commode, dont les tiroirs, de même que tous les vêtements qu'ils contiennent, ont été tranchés en leur milieu, une moitié de tondeuse à gazon, une tranche de réfrigérateur et enfin une autre de motocyclette.
Pour d'autres objets, l'artiste a poussé le travail plus loin en les encadrant, en leur ajoutant un fond et une vitre. Ils deviennent alors le point central d'un ensemble qui s'apparente à un tableau. Sous verre, on peut apercevoir une tranche de photocopieuse, de dollar, de condom, de télécommande, de stimulateur cardiaque, de revolver, de masque à gaz et de hamburger.
Le visiteur qui s'attend à trouver de beaux paysages risque d'être déçu, car ces objets n'ont pas de séduction, de beauté réelle. Toutefois, ce visiteur sera bien inspiré de suivre le mouvement qui le portera à regarder de plus près ces tranches, pour examiner en détail ce qu'elles contiennent. Cette curiosité le mettra sur la voie de l'intention qu'avait l'artiste en procédant à ces coupes dans le vif de ses sujets.
La proposition se présente à prime abord comme un simple jeu, mais même si ce n'était que cela, ce ne serait pas une raison pour s'en détourner: l'art est en bonne partie un jeu pratiqué par l'artiste qui combine ses idées et ses matériaux. Mais dans ce cas particulier, cela va tout de même plus loin.
Ces objets que l'artiste a tranchés sont en général faits en série avec des matériaux inertes (sauf le hamburger) et fabriqués de telle façon que l'on ne puisse pas voir leurs mécanismes. On s'aperçoit alors que les hommes fabriquent ces objets à leur image: comme l'être humain est enveloppé dans une peau qui cache ses organes internes, les appareils il se sert se présentent comme des boîtes dont il n'aperçoit que les éléments utiles à leur fonctionnement. Tout le reste est dissimulé sous du plastique, du métal, du bois, pour diverses raisons: sécurité, stabilité, propreté, esthétique.
L'artiste qui montre l'intérieur de ces objets commet donc un acte de dévoilement relativement audacieux: dans l'exposition de Daniel-Jean Primeau, l'isolant du réfrigérateur, la doublure d'une couche jetable, les mécanismes et rouages d'une photocopieur, prennent un aspect quelque peu indécent, inquiétant, on éprouve la même impression que si on voyait les muscles, le sang, les os d'un être vivant.
On s'aperçoit donc qu'en mettant au jour cet intérieur, l'artiste éclaire l'un des comportements les plus courants de l'être humain occidental du 20e siècle, celui qui consiste à tout emballer, que ce soit des objets, des mécanismes, des marchandises, ou même le corps sous les vêtements, comme s'il fallait absolument cacher un contenu. Il nous dit aussi que si on dissimule cet intérieur, c'est que l'on croit qu'il y a là quelque chose d'indécent, qui doit être caché aux yeux du plus grand nombre, soit parce que cela leur déplairait, soit parce qu'ils seraient incapables de comprendre ce qu'ils voient.
Le travail de Daniel-Jean Primeau en est donc un d'appropriation des objets: en les tranchant, il nous indique que ce ne sont ni des monstres, ni des maîtres, mais le résultat du travail de l'intelligence humaine. Il conduit donc à des interrogations pertinentes sur la technologie, la société de consommation, le comportement humain.