Rober Racine

Une oeuvre multiforme et cohérente
avril 2001

par Denise Pelletier

CHICOUTIMI(DP) - Il y a d’abord eu les insectes, puis les mots, puis les notes de musique, puis les étoiles, et à nouveau les insectes et les mots. Toujours, patiemment, longuement, parfois pendant des années, Rober Racine a travaillé les petits éléments qui, ensemble, forment un réseau, une constellation, une carte géographique, un dictionnaire, un monde à la fois imaginaire, multiforme et cohérent.
On peut le constater en visitant l'exposition qu’il présente actuellement à la galerie Séquence, et qui comprend diverses oeuvres réalisées depuis 1985. Intitulée «Des insectes aux étoiles», elle témoigne de ce parcours qui va des oeuvres graphiques réalisées à partir du dictionnaire jusqu’aux cartes géographiques inspirées par les villes du monde auxquelles la NASA a prêté des «pierres de lune». Sur place, l'artiste, l’un des plus réputés au Québec, nous présente son travail. On y retrouve, légèrement modifiés, des éléments qu'il a déjà présentés ailleurs. Mais il a ajouté des objets nouveaux,  banals pour un visiteur distrait, mais qui pour lui ont une grande importance car il a, dit-il, l'impression de livrer davantage de son intimité au regard du public, et cela le dérange, l’intimide quelque peu. Par exemple dans les deux cabinets disposés à l’entrée de la galerie, il a placé des objets qui font partie de sa vie: carnets de notes, livres annotés, photographies, dessins. Un insecte dans une petite fiole, témoin de ce que les insectes ont été son premier matériau de création, quand il était enfant. Ils devenaient, sous ses doigts guidés par l'imagination, les soldats d’une armée, les étoiles d'une constellation. Puis les mots ont pris la relève et sont devenus sa matière première, d'abord seuls, puis entourés d'autres éléments, graphiques et sonores.

La pièce la plus fascinante est sans nul «La musique des pages-miroirs», qui comprend quatre boîtes de bois accrochées aux quatre murs d’une petite pièce. Sur chacune est posée une de ses pages-miroirs, partie d'une oeuvre monumentale qu'il a réalisée en découpant, soulignant, enluminant, associant, collant les mots de chaque page du dictionnaire (le Robert bien entendu). Il avait souligné toutes les syllabes correspondant à une note de musique: sol, ré, mi et surtout le la, le plus fréquent. Il a lu et enregistré ces suites de sons sur des cédéroms que l’on peut écouter en approchant l’oreille de ces boîtes.
On peut voir aussi, dans une autre salle, 24 de ces pages miroirs. L'oeuvre intitulée «Spica» est une bande sonore qui fait entendre des noms d’étoiles. Il y a aussi une pointe sèche intitulée «Mare serenitatas». Une autre oeuvre, intitulée «Les voiles de la lune», est constituée de plaques de granit sur lesquelles est inscrit le nom d’une ville du monde où se retrouve actuellement une pierre du sol lunaire prêtée par la NASA. Les plaques sont disposées sur un mur en respectant plus ou moins les points d’une mappemonde où sont situées ces villes.
Chez Rober Racine, les disciplines ne sont jamais complètement séparées: dans chaque oeuvre ou presque, on retrouve des éléments graphiques, sonores, textuels, parfois vidéographiques. Il est à la fois musicien, compositeur, dramaturge, romancier, essayiste, performeur, vidéaste. Toutes ses oeuvres procèdent de l'accumulation, du réseau, de l'architecture. Il a planté les mots du dictionnaire dans un jardin, joué les «Vexations» d'Erik Satie 840 fois de suite, construit un escalier inspiré par le roman «Salambô» de Flaubert: chaque marche correspond à l'un des 15 chapitres du roman, et ses dimensions sont établies en fonction du nombre de mots contenus dans ce chapitre. En performance, Rober Racine gravissait cet Escalier Salambô, s'arrêtant sur chaque marche pour lire le chapitre correspondant. Durée de l'événement: une quinzaine d'heures...
Rober Racine estime cependant que l’écriture est la colonne vertébrale de toute son oeuvre: elle y a toujours été présente, et le sera de plus en plus, du moins c'est vers cela que le conduisent son intuition et son inspiration actuelles. Il veut surtout écrire d'autres ouvrages de fiction, après «Le mal de Vienne», «Là-bas, tout près» et «Le coeur de Mattingly» entre autres. Mais sans délaisser complètement la musique ou l'art visuel: «les images inspirent mon écriture et les mots me donnent des idées visuelles», précise-t-il.
Rober Racine, natif de Montréal où il vit toujours, a travaillé et exposé dans plusieurs grandes villes du monde, ses travaux sont fort bien connus en France notamment. Une importante rétrospective de son oeuvre sera présentée au Musée des Beaux-arts du Canada à Ottawa à l’été 2001.
L'exposition «Des insectes aux étoiles», pour laquelle Yolande Racine a agi comme commissaire et que l'on peut voir jusqu'au 3 juin, servira de point de départ à la réalisation d’un cédérom commandé à l’artiste par la galerie Séquence, projet appuyé par la Fondation Daniel Langlois et le Conseil des Arts du Canada. Le cédérom, support idéal pour un créateur multidisciplinaire comme lui, devrait être prêt vers la fin de l’année 2001, souligne Rober Racine.