En bois, en papier... et en vie
septembre 2000
par Denise Pelletier
JONQUIÈRE(DP) - Des êtres de bois et de papier qui vivent et racontent des histoires comme s'ils étaient des personnages de roman: c'est ce que l'on trouve en visitant l'exposition «Portrait de la famille Roman», présentée par Aline Martineau au CNE, jusqu'au 29 octobre.
Cette artiste de Québec a réalisé là un travail tout à fait remarquable, proposant une véritable fusion entre les deux matières que sont le bois et la papier: ses personnages sont vraiment faits des deux éléments, le corps ou les bras pouvant être représentés par une souche ou une branche, les cheveux et les visages en papier sculpté, enroulé, ou travaillé de diverses façons. La technique, parfaitement maîtrisée, ne correspond manifestement pas à un désir de briller ou de démontrer l'habileté de la créatrice: elle est tout entière au service du sens, de ce qu'il y a à transmettre.
Ce qui est transmis est en l'occurrence très riche, car les expressions et les attitudes des personnages sculptés d'Aline Martineau parlent à tous les visiteurs. Et voilà une autre qualité de ce travail décidément hors de l'ordinaire: il est parfaitement et immédiatement accessible, que l'on soit spécialiste critique d'art, amateur occasionnel ou simple passant qui ne connaît rien à la création. Entre autres à cause de la vie que l'artiste a su insuffler à ses personnages, travaillant le moindre de leurs traits, le moindre de leurs gestes, de telle façon que l'on voit immédiatement en eux des membres de la grande famille humaine, qui vivent, aiment, souffrent et parlent, même si en réalité, ce sont des objets.
En entrevue téléphonique, Aline Martineau nous précisait qu'elle avait beaucoup travaillé les visages, car c'est par là que les personnages se révèlent. Le travail combiné du bois et du papier n'est pas nouveau chez elle, car ces deux matières l'ont toujours intéressée, mais cette fois, dit-elle, «j'ai été plus loin dans l'aspect narratif». Elle a en effet tissé une histoire autour de tous ces personnages, une histoire fantaisiste, qui relève des deux mots du titre: famille et Roman.
Roman, c'est le nom de la famille, mais c'est aussi ce qui se dit, ce qui se raconte, c'est la saga qui tient parfois du mythe, au sujet des diverses branches de cette famille et de ses membres, certains timides et discrets, d'autres hauts en couleurs, d'autres enfin dont l'existence même n'est pas attestée.
Afin de mettre davantage en évidence cet aspect «roman», elle accompagne chaque personnage ou groupe de personnages d'un petit carton sur lequel on trouve une photo et un texte. Ce dernier, non dénué d'humour, évoque cet arbre généalogique qui étend ses racines dans l'espace et dans le temps: il y a, dans cette famille, des branches italiennes (les Romano et les Capucino) une branche russe (Romanov), une troupe de saltimbanques, des immigrants, des navigateurs, des parents et des enfants, des frères et des soeurs, et quelques personnages mystérieux, comme Claudius, le général romain ou Klara Romanov, dont on sait peu de choses. Il y a aussi l'ancêtre Lucia (allusion à Lucy), et Giovanna Roman, première femme coureur des bois.
Ils ont en commun, outre leurs racines et leur arbre généalogique, d'être faits de bois et de papier, chaque sculpture rappelant avec éclat à quel point l'un est issu de l'autre, comme le personnage sort, sans s'en séparer totalement, de l'arbre ou de la branche.
Aline Martineau dit travailler beaucoup par instinct et intuition: «la création de chaque personnage prend beaucoup de temps, je travaille jusqu'à ce qu'il me touche, me parle, et quand j'y arrive, c'est chaque fois comme un véritable petit miracle», dit-elle.
«Portrait de la famille Roman» est une exposition à la fois remarquable et accessible, et Aline Martineau est une artiste à découvrir.