Nicholas Pitre

Une atmosphère créée par l'unité des formes et des couleurs
septembre 1994

par Denise Pelletier

JONQUIERE (DP) - L'exposition comprend plusieurs oeuvres mais un seul titre qui les désigne toutes: «Mers intérieures, Cabinet des icônes». Elle est présentée au Centre National d'Exposition par Nicholas Pitre, un artiste de Chicoutimi dont la production est plutôt abondante. Depuis quelques années, il présente annuellement deux expositions, chacune nouvelle, chacune marquant une évolution par rapport à la précédente. Il a jusqu'ici, en un temps relativement court, exploré bon nombre de styles, de matériaux, de genres.
Ce qui se remarque en premier lieu, c'est l'unité de cette expositions, toutes les oeuvres adoptant une même forme, un même sujet et, sauf exception, une même tonalité. En fait, le titre «cabinet des icônes» dit bien de quoi il s'agit: divisées en trois parties dont deux se replient pour recouvrir la partie centrale, ces oeuvres ont ce sommet conique qui évoque la forme des icônes russes du Moyen Age.
La plupart de ces triptyques sont ouverts et accrochés au mur. D'autres sont fermés, totalement ou partiellement, de sorte qu'on ne voit pas le dessin qu'il y a à l'intérieur. L'un d'eux est posé sur un socle. Et enfin, quelques feuilles comportant des dessins qui font manifestement partie de l'ensemble sont posées à plat sur un socle dont la forme évoque celle d'une photocopieuse.
Ces icônes en bois sont marouflés de papier sur lequel il a travaillé ses couleurs. Superposant les pigments et les glacis, il obtient une surface aux tons riches et chauds, en général dans les tons d'ocre, de aune, de brun, sur laquelle se laisse voir la direction du geste créateur: du bas gauche vers le haut droit, en une courbe qui répond à celle du sommet iconique. Tout cela est abstrait, même si on croit distinguer partout, dans le centre plus clair, la forme d'une montagne ou d'une clairière.
L'élément figuratif est introduit par la présence, sur presque chaque élément de chaque triptyque, d'une forme humaine étendue par terre, dans la position du sommeil, de la rêverie, du désespoir peut-être, on ne sait trop. Le corps, nu et peu détaillé,  baigne dans une lumière qui fait contraste, non par sa couleur mais par son intensité, avec le reste de la toile. Mais le personnage en question n'est pas peint directement sur le support: il est placé sur un morceau de toile plus petit et rectangulaire, qui est collé dans certains cas sur l'icône elle-même, et dans d'autres cas sous l'icône, sur le mur.
Cette exposition a donc quelque chose de l'installation, en ce sens que chaque oeuvre participe de l'ensemble et contribue, avec les autres, à créer une atmosphère, à suggérer une vision plutôt qu'à décrire des objets. Cette création d'atmosphère est particulièrement réussie: une atmosphère de recueillement, suggérée par les connotations religieuses de l'icône et du retable. Cela provoque aussi une certaine angoisse, celle que suscitent les questions qui demeurent sans réponse: ces corps étendus sont-ils morts ou vivants? La lumière qui les inonde va-t-elle les réveiller ou les aveugler? Ces corps sont en réalité des âmes, et à ce titre, ils parlent du sens de la vie et de celui de la mort.